Lorsqu’il fait ses débuts sur la série télévisée mexicaine Hora Marcada, Guillermo Del Toro rencontre pour la première fois Alfonso Cuarón (Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban), avec qui il créera la boîte de production Tequila Gang. Aujourd’hui, accompagnés de leur compatriote Alejandro González Iñárritu, Del Toro et Cuarón forment la nouvelle offensive mexicaine, à présent installée aux Etats-Unis. Cela ne les empêche pas de retourner le temps d’un film dans leur contrée ibérique natale, particulièrement en ce qui concerne Del Toro, qui nous présentera cette année son deuxième interlude hispanique entre deux projets hollywoodiens, Le Labyrinthe de Pan, l’occasion de revenir sur la carrière d’un talent à suivre de près.



Après une carrière dans le maquillage pour films fan-tastiques, deux courts métrages et trois épisodes de Hora Marcada, le jeune réalisateur s’attelle à son premier long métrage avec Cronos (1993), œuvre imparfaite dans laquelle résident cependant déjà toutes les obsessions de son auteur. La principale récurrence thématique à se dégager de ce premier essai est celle du protagoniste
 
qui, après mutation, sera coincé entre la vie et la mort et qui, pour reposer en paix, devra d’abord se venger. "La Invención de Cronos" confère à celui qu'elle mord l'immortalité en échange d'une soif de sang, variation sur le thème du vampirisme qui reviendra évidemment dans Blade II (2002). Ainsi, au contact de cette machine, Federico Luppi (l'un des acteurs fétiches du réalisa-teur, avec Ron Perlman), se transforme petit à petit en une créature morte-vivante dont le seul souhait sera de se venger et de mourir. Par la suite de sa filmographie, cette figure vengeresse de-viendra un personnage secon-daire mais néanmoins moteur du récit comme dans L’Echine du Diable (2001), où un enfant devenu spectre devra révéler les circonstances de sa mort aux pensionnaires d’un
 
orphelinat afin que ceux-ci le vengent. Sans oublier Nomak, le vampire (créature morte-vivante) de Blade II qui a muté en une nouvelle espèce à part (le Reaper) et qui, après s’être vengé, pourra enfin mourir sur ces dernières paroles: "Etrange… je n’ai plus mal". Il va sans dire que Del Toro aime ses monstres. Hellboy (2004) est sa lettre d’amour aux freaks en tous genres. Le parcours de ces personnages-là est toujours empreint de mélancolie et en faisant d’eux des personnages secondaires, Del Toro exploite leur statut en faisant tout d’abord croire au spectateur qu’ils ne sont que des monstres, dont on devrait avoir peur, mais finit toujours par révéler le but caché de leur existence non-naturelle.



Dans Cronos, l’invention éponyme se présente sous la forme d’un petit appareil doré en forme de scarabée dans lequel se dissimule justement une créature proche de l’insecte, au milieu de rouages divers. Outre son amour pour la babiole (qu’il s’agisse d’un dispositif scientifique visant à libérer des insectes dans Mimic ou les armes et gadgets multiples de Blade II et Hellboy), Del Toro nous révèle dès son œuvre matricielle sa fascination pour les insectes. Animal totem (chez les Egyptiens), l’insecte possède cette qua-lité primaire, préhistorique, d’avoir survécu à toutes les ères de ce monde. Ils sont là depuis toujours et le seront probablement encore longtemps. Ce qui les rend d’autant plus effrayants, notamment lorsque l’auteur en fait les personnages
 
principaux de son deuxième film, Mimic (1997), qui restera pour l’auteur une première expérience américaine insatisfaisante. Le thème de la métamorphose revient avec ces cafards "transgéniques" ayant muté au contact des hommes, jusqu’à atteindre une silhouette humaine, cachés dans les égouts et le métro. Décors qui réapparaîtront par la suite dans Blade II et Hellboy, ces univers souterrains, comme la cave de L’Echine du Diable, représentent une figure chère au réalisateur: le labyrinthe. C’est par le biais d’un séjour à travers un underground (souvent labyrinthique donc) que les personnages accéderont à la vérité. Son dernier film en date, Le Labyrinthe de Pan (2006), viendra évidemment approfondir ce thème. Avec une petite fille comme princi- pal protagoniste, le film
 

s’inscrit également dans la lignée de Cronos, Mimic, et L’Echine du Diable, dans lesquels on trouvait déjà ce personnage d’enfant (muet dans les deux premiers) qui, effrayé dans un premier temps par le "monstre" de l’histoire, finira par sympa-thiser avec lui.



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Créateur passionné qui ne cesse de griffonner divers croquis de monstres et de gadgets dans ses petits carnets personnels, Guillermo del Toro est le père des insectes humains dont les ailes tombent comme des soutanes avant de se transformer en anges exterminateurs lorsqu’ils les déploient. Ou encore des Reapers tout en bouches et en langues protubérantes, prêtes à pénétrer la chair. A l’instar des motifs vaginaux
 
des conduits labyrinthiques formés par les égouts, ces excroissances charnelles et visqueuses demeurent la seule représentation sexuelle chez Del Toro, pour qui le sexe semble tabou. Les personnages ne sont pas fertiles, souvent trop jeunes ou trop vieux. Seul le personnage d’Eduardo Noriega baise dans L’Echine du Diable et ce, pour le pouvoir, non par désir. La faute à un enseignement catholique qui trouve un écho dans l’imagerie religieuse présente à travers l’œuvre de l’auteur. Des insectes précités au personnage-titre de Hellboy, les figures religieu-ses et autres martyrs peu-plent la carrière du réalisateur. Influencé par la lecture de Frankenstein à l’âge de neuf ans (l’héroïne de Mimic, le Dr. Susan Tyler, est stérile, une génitrice non-naturelle à l’instar du Dr. Victor Frankenstein, un hom-
 
me), mais également par les contes de fées (le père cherchant son enfant dans Mimic tel Geppetto à la recherche de Pinocchio) dont il estime que les histoires d’horreur sont les demi-sœurs, ou encore la bande dessinée, tant européenne qu’américaine (L’Echine du Diable s’inspire de Paracuellos de Carlos Giménez tandis que Blade II et Hellboy sont des adaptations officielles de comics), Del Toro a créé un univers bien à lui, tant dans le fond que dans la forme, notamment lorsqu’il collabore avec Guillermo Navarro, son directeur de la photographie de prédilection et qu’il nous présente son petit monde vu à travers un prisme ambré. Peut-être l'un de ses bocaux dans lesquels réside toujours quelque chose de surnaturel...