Pour qu’il survive à l’explosion de la planète Krypton, le jeune Kal-El est envoyé sur Terre par ses parents. Sous les rayons du soleil jaune, il sera quasi indestructible, extra-terrestre aux supers pouvoirs, destiné à guider les humains sur le chemin du Bien.




Un quart de siècle avant que les comics deviennent le réservoir à scénarios que l’on sait, la Warner entreprit de porter à l’écran le plus célèbre de ces mythes modernes. A 40 ans, Superman était déjà un succès intermédias: de la B.D. au serial, en passant par le feuilleton radio et les formidables dessins animés
 
de Max Fleischer. En bref, toutes les formes de narration parentes du comic, partageant sa sérialité. Des choix cohérents car idéaux pour reproduire le schéma épisodique et multiplier à l’infini les cliffhangers. Merchandising et fans-clubs, Superman était multimédia, le premier super-héros à l’échelle mondiale. Vint l’ère du blockbuster. Que pouvait être Superman au cinéma sinon une grosse production aux effets spéciaux conçus pour l’occasion. Une planète lointaine, les grands espaces américains, des séquences de vols au-dessus de Metropolis: il fallait le meilleur de Lucas, Spielberg et Coppola. Les moguls slaves, ces produ-cteurs vernis qu’étaient les frères Salkind, assemblèrent la crème de la
 
crème: le bankable Richard Donner (La Malédiction fut un succès du box-office en 1976), l’auteur du Parrain (Mario Puzo), le parrain lui-même (Marlon Brando), la mégastar de la bande originale (John Williams), et le directeur de la photo de 2001, l'odyssée de l'espace (Geoffrey Unsworth). C’est dire si les ambitions étaient au-delà de la prise de risque. Mais cette nouvelle ère était encore jeune et l’on pouvait encore rêver en scope sans craindre qu’un inconnu dans le rôle principal (Christopher Reeve) constitue un risque financier. Après un long casting, la machine était lancée. Le premier blockbuster de super-héros allait être colossal, ou ne serait pas.



Procurez-vous le produit fini. Munissez-vous d’un écran honnête et d’un son ample à souhait. Superman exige la dimension, le confort et, plus que tout, le respect, l’écoute attentive. L’ouver-ture est un modèle de pro-fession de foi, la manifes-tation d’un respect sans condition vis-à-vis du ma-tériel source. A l’écran, un lourd rideau rouge s’ouvre sur un petit film en noir et blanc. Un enfant lit à haute voix le tout premier épisode du comic en tournant les pages. Quand le globe du Daily Planet apparaît dans la dernière case, le film a opéré en quelques secon-des la mise en abyme de l’acte de création des au-teurs: le film est bande dessinée, la bande dessi-née est film. S’il suit ce saut de foi figuré, c’est le grand Espace qui attend le spectateur: un
 
retour aux origines, à la naissance du Mythe. Depuis, aucun film de super-héros n’a mieux manifesté son dévouement et sa sincérité, invitant le lecteur à opérer un simple glissement médiatique. Il n’a qu’à suivre ou redécouvrir, céder à la nostalgie de l’enfance pour entendre encore une fois le mythe du sauveur. Car le scénario de Mario Puzo ancre profondément Superman dans la mythe judéo-chrétien. C’est l’histoire de l’Elu forcé à l’exil: du cosmos aux prairies du Kansas, il est toujours question de la place de l’étranger. Si le thème est sérieux, il flirte, une fois transposé aux espaces urbains, avec la comédie de mœurs à la Capra, et donne au film de Donner le charme désuet de ses classiques. La nostalgie sollicitée est aussi celle d’un cinéma pré-blockbuster, d’où ce mari-
 

-age improbable du mythe comic-book avec le romantisme W.A.S.P. Superman est symbolique de cette époque encore trop optimiste pour être tout à fait sérieuse, l’après-guerre qui fut aussi l’âge d’or du comic-book. En cela, il est d’une cohérence à toute épreuve.



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Improbable, bête et ridicule. Si ce Superman déboulait aujourd’hui, les fans du monde entier saisiraient leurs claviers pour conspuer les aventures délirantes d’un bellâtre en slip rouge. Lex Luthor ne porterait jamais de perruque. Jamais il ne s’acoquinerait avec une bimbo demeurée et un escroc crétin. Il ne détournerait jamais des
 
missiles nucléaires pour commettre la plus grande arnaque immobilière du siècle. Et jamais, au grand jamais, Superman ne remonterait le temps en faisant tourner la Terre à l’envers! Ces fans auraient raison. Le comic profite à peine d’une légitimité cinématographique durement acquise. Aujourd’hui encore, cet immense réservoir d’images, vivier où de nombreux mythes de la pop-culture évoluent, caphar- naüm d’histoires sensation- nelles, est tenté par le pire (voir Avi Arad et ses choix pour Marvel). Superman, père de tous les super-héros, ne saurait être en deçà du plus honnête des blockbusters. Et c’est exactement ce que tentèrent de réaliser Donner et ses comparses avant même que le cinéma soit à la
 
mode comics. Sans se départir de la naïveté intrinsèque du personnage, ils ont produit un film majestueux et mythique auquel le marivaudage donne des ailes. Quand le charme persiste, le culte est légitime: il a fallu attendre Spider-Man pour découvrir un blockbuster super- héroïque aussi réussi (et Sam Raimi ne se prive pas de faire référence à Superman). Sans le film de Donner (et ses suites médiocres) il est fort probable que la vague comics ne serait qu’une vaguelette dans l’horizon cinéma. Finalement, une perruque et la Terre qui tourne à l’envers, ça n’était pas cher payé. Depuis, on a fait bien pire.