Deux pères: Michael Sullivan, tueur professionnel au service de la mafia irlandaise dans le Chicago de la Dépression, et Mr. John Rooney, son patron et mentor, qui l'a élevé comme un fils. Deux fils: Michael Sullivan Jr. et Connor Rooney, qui font chacun des efforts pour s'attirer l'estime et l'amour de leurs géniteurs. Mike Jr. va être le témoin d'un meurtre injuste perpétré par Connor. Celui-ci décide alors de les éliminer, père et fils, mais tue Mme Sullivan et le jeune Peter Sullivan. Michael Sullivan décide alors de venger sa famille, accompagné de son fils...
 

Sam Mendes serait-il destiné à ne faire que des grands films? Avec Les Sentiers de la perdition, le réalisateur d'American Beauty s'approche encore une fois de la perfection. Sa dernière œuvre transpire de bout en bout le caractère minutieux de l'entreprise. D'un point de vue purement pratique, le film va jusque dans l'absolu pour recréer
 
avec justesse l'Amérique de la Dépression. Des costumes aux décors, l'aspect purement matériel témoigne d'un perfectionnisme évident. Cependant, ce n'est pas de cet angle-là que le film de Mendes s'avère inspiré, mais tout simplement de l'angle du réalisateur, qui use de tous ces éléments comme accessoires à sa peinture d'un drame évoluant autour de la figure paternelle et de la rédemption. Provenant du milieu du théâtre, Mendes signait il y a maintenant trois ans une mise en scène assez classique mais qui épousait parfaitement le prodigieux scénario d'Alan Ball, faisant d'American Beauty un film dont plusieurs millions de spectateurs sont tombés amoureux. Cette fois-ci, le scénario est adapté d'un roman graphique, une forme de bande-dessinée plus
 
adulte, plus mature qu'un comic book. Mendes reste donc fidèle à lui-même à travers un filmage sobre sans pour autant être dénué d'émotions. D'ailleurs, le point le plus remarquable du film est sans doute l'atmosphère installée par Mendes, conférant à son film une intensité presque palpable. Des mouvements de caméra lents et fluides aux cadres millimétrés, l'art de Mendes évoque les cases caractéristiques du support originel, utilisant parfois les embrasures de portes, les miroirs et autres fenêtres pour y référer plus directement. La mise en scène n'est jamais trop appuyée, adoptant un style assez minimaliste, voire épuré, qui évite au film de tomber dans la distribution d'effets dramatiques faciles.
 
C'est un véritable travail d'artisan(s) que l'on nous offre ici: la caméra resserrant doucement le cadre de façon à rétrécir le champ autour d'un personnage, la musique croissant vers une furtive envolée lyrique au moment culminant où l'acteur délivre une réplique qui restera gravée dans les mémoires... C'en est presque orgasmique. La tension est tellement effective que l'on frôle la jouissance durant certaines scènes. Les larmes ne demandent qu'à couler. Nous sommes plongés dans les yeux mêmes des comédiens, reflets de leurs
 
âmes concernées par les événements de l'histoire. Sans être traversée par des thèmes réellement nouveaux, l'histoire trouve son originalité dans le traitement qui lui est imposé. Deux pères, deux fils et la lutte menée par chacun des pères pour sauver leurs fils, ce serait là une façon de résumer la trame d'un film se faisant néanmoins encore plus riche en se voyant greffer l'éternel thème de la rédemption. Un thème inhérent aux films de gangsters, tout comme le thème de la vengeance qui caractérise le personnage interprété par Tom Hanks. Protagoniste ambigu, il souhaite se racheter en
 

empêchant son fils de suivre le même chemin que lui tout en désirant tuer l'homme qui a assassiné les siens.
 
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Tom Hanks trouve ici un rôle différent de ceux qu'il incarne habituellement, mais il y est tout aussi impressionnant. Presque constamment monolithique, il octroie une prestation à l'image de la mise en scène et de son environnement: froide. Voici un homme qui s'est trop éloigné de sa famille et de certaines
 
valeurs et c'est une tragédie qui vient le réveiller. Le casting s'est orienté vers des acteurs qui paraissent être des icônes, Paul Newman en tête, faisant des personnages les figures mythologiques d'une tragédie grecque. Jude Law est un parfait assassin dont la réelle nature est déguisée derrière cet air innocent qu'inspire sa démarche. Daniel Craig est à l'opposé de ce que suggèrent ses cheveux blonds parfaitement coiffés et ses profonds yeux bleus. En bon metteur en scène de théâtre qu'il est, Mendes dirige l'ensemble de la distribution à la perfection, comme sur son film précédent. Tous les éléments cinématographiques sont ici présents pour offrir un spectacle époustouflant de vérité et d'intensité dramaturgique. Le film ne
 
possède peut-être pas un fond des plus révolutionnaires ou particulièrement pertinent mais il est traversé par une thématique forte. Si forte qu'en sortant de la salle on est sûr d'avoir pour toujours ces images de Tom Hanks, sous la pluie (ici symbole lié à la mort), une mitraillette à la main et le regard masqué par l'ombre que projette son chapeau. Il ne reste de son visage que la partie inférieure, renvoyant aux personnages de bande-dessinée en uniforme dont seuls le menton et la bouche sont visibles. Ainsi rendu anonyme, il n'est plus Michael Sullivan. Il est juste un père incarnant la figure paternelle même, l'ultime patriarche. Priez pour Michael Sullivan.