Avec le recul, on serait presque enclin à se demander si on n'a pas sous-estimé Schumacher qui nous aurait offert en réalité une énormité parodique volontairement risible comme une énorme critique des studios et du monde actuel, dirigé par les multinationales. Mais non. De son propre aveu, il a fait de cette franchise un peu n'importe quoi. Suivant la malheureuse logique apparemment immuable de la saga, le film se voit peuplé encore une fois de personnages supplémentaires. Le premier avait un gentil contre un méchant, le second un gentil contre deux méchants, le troisième
 
deux gentils contre deux méchants, et à présent on a la Bat-Team au complet (Batman, Robin et Batgirl) contre Mr. Freeze, Poison Ivy mais aussi Bane, méchant à part entière dans le comic book, réduit au statut de brute épaisse. Cette accumulation de personnages est à l'image du film, victime de la surenchère sans fin, comme si le merchandising obligeait la présence de plus en plus de jouets potentiels dans un monde où tout se voit "batisé" aussi religieusement que le suggère le terme. Après les innombrables Batmobiles (qui changent à chaque volet), Batwing, Batjet, Batboat, on a droit à Bat-tout-et-n'importe-quoi comme la pire des marques déclinable à volonté. On se souviendra de ce gag où Batman, en costume, tend sa carte de crédit dont la date d'expiration indique: forever. On est loin de la subtilité d'un Burton qui faisait s'envoler le Batwing dans les cieux, jusqu'à se superposer à la pleine lune, recréant ainsi à l'écran le logo du personnage, rendant par là même les fans extatiques. Aujourd'hui, les
 
fans sont colériques. Dans un épisode de la série animée Les Nouvelles Aventures de Batman et Superman intitulé "Légendes du Dark Knight", trois enfants se remémorent différentes incarnations de Batman. Alors qu'ils parlent, ils rencontrent un jeune garçon aux longs cheveux blonds qu'ils appellent Joel et que l'on voit désirer un boa de plumes exposé dans la vitrine d'un magasin. Les enfants se moquent ensuite de la vision qu'a Joel de Batman en disant "Il pense même que la Batmobile peut grimper les murs!". Cette anecdote montre à quel point le passage de Schumacher sur la saga a tâché son histoire. Avec deux épisodes qui se sont de plus en plus éloignés des méandres obscures de la perception de Burton, on est arrivé aux limites de l'indigestion, comme quoi il ne faut pas confondre "esprit comic book" avec "Bam! Pow! Wiz!".



Un budget de 110 millions de dollars que les recettes au box-office américain parviennent à peine à atteindre. Même avec un certain succès international, le film est financièrement un échec. Cependant, on n'arrête pas les franchises à Hollywood. Un cinquième épisode est évidemment envisagé. George Clooney se flagelle encore aujourd'hui pour ce film et a depuis choisi un chemin bien plus honorable. Schumacher reste un temps intéressé. Le nouveau méchant devrait être l'Epouvantail, les noms de Jeff Goldblum et John Travolta circulent, ainsi que ceux de David Duchovny et Kurt Russell pour incarner le justicier. Malgré un scénario signé Mark Protosevich (The Cell), Schumacher passe la main. Le projet se retrouve plus ou moins laissé en friche. Soudain, deux projets parallèles apparais-
 
sent en même temps. Tout d'abord, Darren Aronofsky, couronné pour son sublime Requiem for a Dream), annonce son intention d'adapter le roman graphique Batman: Year One, où Frank Miller nous décrit la première année que Bruce Wayne passe dans l'uniforme de chauve-souris. "Chacune des conceptions à l'écran de Batman correspond à une certaine période du comic book: les deux films de Tim Burton sont proches des histoires noires chargées en psychologie des années 80, ceux de Schumacher rappellent le Batman coloré des années 50-60, tandis que la série télévisée s'inscrit clairement dans le style du comic strip des années 30-40; celui de Darren devrait se situer dans la mouvance des années 70" affirmait Lorenzo Di Bonaventura, producteur enthousiaste à la Warner. L'auteur lui-même désire réaliser "un film urbain, dans le genre de French Connection".
 
L'autre projet est une adaptation de la série animée Batman Beyond, qui se passe 40 ans dans le futur. Bruce Wayne a arrêté son combat contre le crime mais lorsque un jeune adolescent perturbé du nom de Terry McGinnis tombe sur la Batcave, il le prend sous son aile pour en faire son successeur. Le film devait être réalisé par Boaz Yakin (Le Plus beau des combats). Les deux films tombent à l'eau pour des questions de financement.
 
Survient alors Andrew Kevin Walker, scénariste du chef d'œuvre Seven, avec un script ambitieux nommé Batman Vs Superman. La chauve-souris menait l'enquête sur les agissements de l'ennemi de Superman, Lex Luthor, qui ramenait le Joker à la vie en le clonant pour se débarrasser de Batman. Clark Kent et Lois Lane s'intéressaient également à Wayne Industries, compagnie rivale de celle de Luthor et à un moment, les deux héros se battaient l'un contre l'autre avant de
 
s'allier pour affronter les deux méchants. Encore une fois, le projet bat rapidement de l'aile: le tâcheron Akiva Goldsman, responsable des Batman de Schumacher, est appelé pour retoucher le scénario et J. J. Abrams (créateur de la série Alias) propose un nouveau Superman au studio qui voit dans cette nouvelle franchise potentielle une garantie de réussite que n'offre pas Batman vs Superman. Sur ce, Wolfgang Petersen, qui devait assurer la réalisation, préfère partir réaliser son adaptation de L'Iliade d'Homère, Troie.
 
Heureusement, il y a une justice dans le septième art, et un autre jeune auteur talentueux a été engagé pour redonner vie au vengeur masqué. Christopher Nolan (Memento) est en train de tourner le nouveau départ de Batman (oubliant la saga pré-existante) sur un scénario de David Goyer (Blade et Blade II). On attend donc beaucoup du cinéaste spécialisé justement dans l'univers du polar.