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Plus que toute autre adaptation de bande-dessinée, Sin City se réclame du roman graphique original. Présenté non pas comme une retranscription fidèle mais comme une traduction littérale, le film de Robert Rodriguez est également à plus d'un titre celui de Frank Miller. Un retour sur le comic book atypique crée par l'auteur il y a maintenant plus de 10 ans s'imposait.
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Le coeur de Frank Miller a toujours été porté sur le crime. Dans les comics. Il explose chez Marvel dans les années 80 en reprenant en main le personnage de Daredevil. Jusque là ersatz de Spider-Man, Miller élimine de manière approfondie l'aspect super-héroïque et l'humour apporté par Stan Lee afin |
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de transformer le titre en un thriller d'action introduisant sa propre femme fatale en la personne de Elektra, dangereuse beauté issue du passé de Matt Murdock. De l'aveu même de Miller, le personnage s'inspire beaucoup de celui de Sand Saref de The Spirit de Will Eisner. Le succès de Miller sur Daredevil le me-na à son oeuvre la plus célèbre, Batman : Dark Knight, une mini-série qui eut un tel accueil commercial et critique que l'auteur fut catapulté dans la catégorie des créateurs libres de faire tout ce qu'ils veulent, assurés d'avoir un lectorat. Jouissant de ce nouveau statut privilégié, Miller se lança dans une oeuvre difficilement publiable chez Marvel ou DC, non seulement parce |
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qu'aucun des deux éditeurs était intéressé, a priori, par la publication d'un titre sans super-héros, mais surtout parce que la nouvelle création de Miller serait ultra-violente, super sexy et sans concessions. Combinant le meilleur des influences de Miller, des bandes-dessinées criminelles de EC Comics aux écrivains tels que Mickey Spillane (créateur du personnage de Mike Hammer) Dashiell Hammett (Le Faucon Maltais), et Raymond Chandler (père de Philip Marlowe), en passant par le dessin de Jack Kirby (collaborateur de Stan Lee) et y ajoutant sa propre vision unique, Miller donna naissance à l'univers de Sin City. |
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Dans un premier temps, Sin City fut publié en 13 numéros dans l'anthologie mensuelle éditée par Dark Horse, intitulée "Dark Horse Presents". Cette première histoire fut ensuite rassemblée en un roman graphi-que, rebaptisé récemment The Hard Goodbye à l'occasion du film. Comme la plupart des bons polars hard-boiled, l'intrigue est trompeusement simple. Une énorme masse nommée Marv est accusé du meurtre d'une prostituée nommée Goldie, tuée sous son nez alors qu'il était endormi, ivre, après avoir passé la nuit avec elle. Le parcours solitaire du protagoniste est propice à plusieurs monologue terrifiants, un style que Miller affectionne particulièrement et répétera à travers les tomes. Durant son enquête, Marv passera par le Kadie's Bar, boui-boui |
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à strip-tease qui reviendra souvent dans l'univers de Sin City. En effet, Miller va créer un microcosme propice aux histoires de tueurs et de gangsters, de meurtres et de sexe. "La ville du vice et du péché" proclame l'affiche du film. C'est exactement ça. Le réel talent de Miller sur Sin City apparaît dans l'esthétique épurée, mini- maliste et pourtant riche de la bande-dessinée. La page ci-contre témoigne de son talent de conteur visuel combinant les effets sonores au découpage, le tout dans un noir et blanc magnifique. L'histoire est narrée à travers la figure et l'absence de figure, l'image et l'absence d'image, focalisant le point de vue du lecteur sur ce que Miller considère comme étant le plus significatif. Dans ce premier tome de Sin City, le style est particulièrement adapté à l'histoire dans la mesure où il symbolise la |
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dichotomie du monde de Marv (et par extension le monde de Sin City dans son ensemble): il y a ce qui est juste et ce qui ne l'est pas. L'injustice doit être vengée, quel qu'en soit le coût. Le Bien contre le Mal, le Blanc contre le Noir. Pas de gris. |
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Frank Miller crée alors une charte graphique qui lui permettra de nombreuses expérimentations et dont il s'amusera à enfreindre les règles en ajoutant de temps en temps de la couleur. Dans Silent Night, il raconte une histoire en 26 pages presque sans dialogues. Dans Valeurs familiales, il poussera encore plus loin |
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son travail sur la lumière, atteignant un niveau encore plus élevé dans la création de formes et de figures à travers l'absence d'ombres et la surexposition. Le plus expérimental des essais de Miller sur Sin City se trouve être le septième et dernier volume en date, L'Enfer en retour. Pour le climax de l'histoire, Miller brise toutes les règles en adoptant le point de vue du protagoniste, Wallace, un ex-soldat et artiste en devenir, sous influence de drogues hallucinogènes. Les planches psychédéliques, tout en couleurs, sont peuplées de toutes sortes de personnages, de Rambo à Captain America en passant par des dinosaures. Appelé à coréaliser l'adaptation de sa propre oeuvre, Miller s'est associé à Ro-bert Rodriguez, |
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poussant toujours plus loin l'expérience, à savoir celle de rester le plus fidèle possible aux romans graphiques, adoptant carrément les cases comme storyboards du film, et maquillant les personnages pour les rendre identiques aux dessins de l'auteur. Deux suites ont déjà été annoncées. Le premier film regroupe trois chapitres. Il semble évident que les quatre autres volumes ne suffiront pas à combler deux longs métrages. On peut donc croire que Frank Miller écrira de nouveaux chapitres spécialement conçus pour le cinéma, repoussant à nouveau les limites de son style. |
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