The Florida Project
De Baker Sean
Éditeur : Le Pacte
Zone 2
Nombre de disques : 1
Durée : 1h51
Sortie : 09/05/2018
Moonee a 6 ans et un sacré caractère. Lâchée en toute liberté dans un motel de la banlieue de Disney world, elle y fait les 400 coups avec sa petite bande de gamins insolents. Ses incartades ne semblent pas trop inquiéter Halley, sa très jeune mère. En situation précaire comme tous les habitants du motel, celle-ci est en effet trop concentrée sur des plans plus ou moins honnêtes pour assurer leur quotidien…
LE ROYAUME INTERDIT
Le précédent long métrage de Sean Baker, Tangerine, avait fait l'effet d'une bombe : c'était un film véritablement indépendant (et dans tous les sens du terme), porté par une énergie du tonnerre et des héroïnes comme on n'en voit nulle part ailleurs au cinéma. The Florida Project, produit un (tout petit) peu plus confortablement, avec une star à l'affiche (Willem Dafoe) et des héroïnes a priori plus conventionnelles allait-il vers un affadissement de Baker, un calibrage plus sage et dans les clous du ciné indé américain ? Il n'en est absolument rien. D'abord parce qu'au bout de deux scènes, la mimi-mini-héroïne (Moonee, 6 ans), lance un fracassant « pouffiasse, tu sers à rien! » à une brave voisine bouche bée - sorry not sorry, les protagonistes de Sean Baker sont toujours aussi glorieusement mal élevées. Ensuite et surtout parce le cinéaste ne fait pas plus de compromis avec ce nouveau film puissant, émotionnellement et politiquement, alors qu'il fait tout pour donner l'apparence d'un gentil récit d'apprentissage estival.
« Celebrate good times, come on ! » : les gamins de The Florida Project beuglent les uns sur les autres lors de la première scène, les murs derrière lesquels ils se cachent sont super-colorés et c'est le tube disco de Kool & the Gang qui ouvre le film. The kids are all right, pour citer une autre production indé américaine récente ? Oui merci, ils vont très bien alors que tout va mal. Derrière les couleurs flashy de cette ville de banlieue peinturlurée par des gens qui n'ont oublié aucun de leurs feutres dans leur pot de Crayola, derrière l'arc-en-ciel qui pousse dans le ciel comme pour troller ceux qui le regardent, Sean Baker donne à voir une Amérique abandonnée, voisine de celle croquée par Andrea Arnold dans American Honey. On est tout proche de Disneyworld... mais on n'y est pas vraiment et ce monde-là est un tout autre monde. Les magasins, restaurants, motels, surplombés de figurines géantes, tartinés de mauve ou d'orange, donnent pourtant l'impression que l'on vit dans un parc d'attraction. Mais la seule attraction ici est celle de la consommation : les injonctions des spots de pub débiloïdes qui tournent en boucle à la télé, les panneaux publicitaires qui obstruent le bleu du ciel, les quelques pièces qu'on récupère pour déguster des glaces (et soigner l'asthme!).
« Ça c'est la belle vie! » s'écrie la jeune Moonee. La belle vie en question, c'est de pouvoir aller à un buffet à volonté d'un hôtel lambda, et d'en profiter. Sean Baker saisit tout à fait l'insouciance de quelques gosses pas encore touchés par les problèmes de leurs parents. Il y a ici quelque chose d'assez doux, mais aussi quelque chose d'amer qui se trame, une menace comme ce ciel de Floride qui se charge. Comment parler de la précarité, de la situation dramatique des plus pauvres dans le système américain ? Comment, comme dans Tangerine, parler d'invisibles ? Baker sait écrire des personnages hauts en couleur qui ne soient pas de mignonnes poupées pittoresques. Il les rend hyper-vivants, qu'il s'agisse de l'écriture, de la direction d'acteurs, du montage ou du travail chromatique, parce qu'au fond il est avant tout question ici de survie. Cette pulsion de vie s'exprime dans une tonalité plus frontalement dramatique de l'autre côté de la planète avec les antihéros d'un Brillante Mendoza. Ici, une vieille et sympathique épave traîne tous boobs à l'air au bord de la piscine, on y cause concours de twerk, on mate en loucedé un feu d'artifice qui est tiré pour les autres – le ton est à la comédie pour parler de choses graves. L'irruption du réel comme un mur est poignante, la fuite dans l'imaginaire enfantin encore plus. Humain, bouleversant, attachant, The Florida Project est une vraie merveille.