Tarnation

Tarnation
Envoyer à un ami Imprimer la page Accéder au forum Notez ce film
Tarnation
De Caouette Jonathan
Éditeur : Malavida
Zone 2
Nombre de disques : 1
Sortie : 15/09/2005
Note du film : ******
Note FilmDeCulte : ******
Location DVD online
Louer vos films sur internet
en DVD, VOD ou Blu-ray
Louer DVD online

Jonathan Caouette se réveille avec la peur au ventre: sa mère Renee vient de faire une overdose de lithium. Il quitte New York pour Houston et se rend à son chevet.

PALPEZ CET EPIDERME

Dépêche amoureuse, missive incandescente, déluge de souvenirs écornés et de visages ébréchés, Tarnation coulisse subrepticement du vaudeville acide à la confession virulente, du ballet névrotique au livret de famille déchirant. Devant et derrière la caméra, Jonathan Caouette dévore des yeux la boîte de Pandore de son enfance, celle qui a connu l’absence, le manque et la servitude des internements psychiatriques. En défrichant image par image cent soixante heures de rushes capturés dès l’âge de huit ans, Caouette ne trempe pas seulement les doigts dans une mare visqueuse, il en extrait une sève singulière, une chorale aliénée parcourue de spasmes mélancoliques et grevée d’aveux éraillés et cinglants. Enchevêtrées, clairsemées dans l’espace et le temps, les réminiscences implorent les amants suicidaires, dépècent les enveloppes putrides et sondent avec une méticulosité maladive les affres de la création et du mensonge à demi-mot. 26 novembre 1972, Jonathan Caouette vient au monde. La folie et la résignation l’ont précédé. Reality show en perpétuelle surchauffe, Tarnation ondoie d’une rive à l’autre, flagelle les viscères, tétanise. Dans l’entonnoir du passé retentissent encore les gloussements désespérés d’une reine de beauté déchue. Fasciné par la mémoire fluctuante, l’éraflure immédiate, les abysses et les travestissements, Caouette séduit et toise son entourage – Renee sa mère désaxée, Steve son père déserteur, Rosemary et Adolph ses grands-parents dépassés –, effeuille ses amours, ses rancœurs, son homosexualité. La vie comme un éternel chant du cygne, une ineffable tristesse inondant une chair ivre et croulante.

ROSEMARY’S BABY

Elle est là, avachie sur le canapé, sautillant sur elle-même, singeant Liz Taylor ou balbutiant des vers du Desiderata de Max Ehrmann: "You are a child of the universe, no less than the trees and the stars; you have a right to be here.". Surexposée, molestée et sublimée l’éclair d’un rictus, elle est le cœur compatissant du film, son souffle attendri et sa raison d’être. Sa beauté fêlée et ses manières de petite fille pimbêche et charmeuse baignent dès les premiers pas dans un lagon de crapauds. La biographie des Caouette, comptine poisseuse et effroyable, s’ouvre sur une énumération de viols, d’incestes, d’addictions et d’harcèlements répétés. La première branche s’est cassée: enfant modèle célébré par les revues de Houston, Renee Leblanc connaît le succès, l’oubli puis la chute, interminable. A douze ans, Renee dégringole du toit de la maison parentale, retombe à pieds joints sur la pelouse sans avoir plié les genoux. Paralysée pendant des semaines, Renee sombre dans le mutisme, est internée séance tenante et subit un traitement forcené à base d’électrochocs. De cette échine abîmée jaillit une seconde fracture: la naissance de Jonathan, non-événement qui fait fuir son géniteur, Steve Caouette, retrouvé dix-neuf ans plus tard par l’intermédiaire du bottin et d’un long traquenard téléphonique. Tarnation met en parallèle la mort mentale de Renee à la détresse immobile de Jonathan, les "sick mother" ceinturés à leurs "sick children". L’un s’est noyé, l’autre n’en finit plus de se saborder.

JE SUIS VENU TE DIRE…

"She’s inside me." Poupée narcotique, la pommette collée à une citrouille, Renee la pestiférée devient la muse ingénue de Jonathan. Les rôles ont permuté, le ver est resté. Les syncopes et les frissons nauséeux éclaboussent la pellicule jusqu’à la calciner. Aspiré par une spirale de gorgones affligées, Tarnation s’engouffre dans la contemplation de ces tendons vulnérables dont on laboure et sectionne froidement les extrémités. Cette parade du délabrement, Jonathan Caouette en fait l’œuvre de sa vie. Un royaume polymorphe, où les larsens et les brimades impriment au montage un esthétisme rugueux, exubérant et frénétique. Thérapie familiale enfiévrée par l’urgence, le journal du damné voit poindre l’espoir d’une renaissance. Les chroniques potaches tutoient les effluves de Blue Velvet, les reflets cadavériques se mêlent à la tragédie chancelante. Ensemble, ils habillent et déshabillent la mythologie Caouette, l’ascendance maudite et les icônes scarifiées. La source romanesque semble inépuisable tant l’acteur cloné à l’infini se livre nu et frémissant, le corps rompu et la gorge nouée. Jonathan se donne en spectacle, chante, pleure, accuse, rêve d’apesanteur, imprime des anges nucléaires sur la neige. La biographie est happée par la fiction, le mélodrame se repaît du fait divers. La raison s’effondre, les voix s’éteignent et Renee entrevoit déjà la lumière: "Be cheerful. Strive to be happy". La tornade évanouie, les mains moites caressent encore les plaies béantes d'hier: "With all its sham, drudgery and broken dreams, it is still a beautiful world".

par Danielle Chou

Bonus

Techniquement parfait (le contraire eut été pour le moins surprenant), le DVD de Tarnation demeure toutefois bien en deçà de nos attentes. Si l’expérience du film sur petit écran, un peu moins d’un an après sa sortie en salles, permet de remettre en perspective le travail de montage abattu par Caouette et, partant, de passer ses choix en revue (chapitrage, arrêts sur image, retours en arrière, pauses… autant de fonction bienvenues pour suivre les fils du canevas Tarnation), on s’attendait à des suppléments plus foisonnants. A commencer, bien sûr, par la fameuse version longue de Tarnation (deux heures trente), projetée à Sundance et raccourcie depuis, dont on cherche désespérément la trace parmi les élégants menus animés. De même, le « Tarnation bis ou Re-tarnation » promis fin 2004 au journaliste de Télérama venu l’interviewer, montage complémentaire d’archives personnelles non-usitées, brille par son absence. Absence, itou, des courts métrages de Caouette, découverts par fragments dans le long, et qu’on était persuadé de découvrir ici entiers.

Déception, donc, pour les Caouettophiles, privés également du plaisir légitime d’un commentaire audio, désavantageusement remplacé par une simple interview promotionnelle avec le documentariste. Pas folichonne, cette demi-heure d’entretien ne manque pas de faire redite avec les diverses interviews déjà données par Caouette. Ne restent dès lors plus que des miettes, affiches et projets d'affiches (accessibles sur une piste DVD-Rom), diaporama musical et bande-annonce, à l’inutilité évidente.

Guillaume Massart

En savoir plus

Interactivité :

Techniquement parfait (le contraire eut été pour le moins surprenant), le DVD de Tarnation demeure toutefois bien en deçà de nos attentes. Si l’expérience du film sur petit écran, un peu moins d’un an après sa sortie en salles, permet de remettre en perspective le travail de montage abattu par Caouette et, partant, de passer ses choix en revue (chapitrage, arrêts sur image, retours en arrière, pauses… autant de fonction bienvenues pour suivre les fils du canevas Tarnation), on s’attendait à des suppléments plus foisonnants. A commencer, bien sûr, par la fameuse version longue de Tarnation (deux heures trente), projetée à Sundance et raccourcie depuis, dont on cherche désespérément la trace parmi les élégants menus animés. De même, le « Tarnation bis ou Re-tarnation » promis fin 2004 au journaliste de Télérama venu l’interviewer, montage complémentaire d’archives personnelles non-usitées, brille par son absence. Absence, itou, des courts métrages de Caouette, découverts par fragments dans le long, et qu’on était persuadé de découvrir ici entiers.

Déception, donc, pour les Caouettophiles, privés également du plaisir légitime d’un commentaire audio, désavantageusement remplacé par une simple interview promotionnelle avec le documentariste. Pas folichonne, cette demi-heure d’entretien ne manque pas de faire redite avec les diverses interviews déjà données par Caouette. Ne restent dès lors plus que des miettes, affiches et projets d'affiches (accessibles sur une piste DVD-Rom), diaporama musical et bande-annonce, à l’inutilité évidente.

Guillaume Massart

Quelques liens :

Partenaires