Rainer Werner Fassbinder - Vol. 1

Rainer Werner Fassbinder - Vol. 1
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Rainer Werner Fassbinder - Vol. 1
Éditeur : Carlotta Films
Zone 2
Nombre de disques : 1
Durée : 2h07
Sortie : 18/04/2018
Note FilmDeCulte : ******

7 films majeurs de R.W. Fassbinder tournés entre 1969 et 1973 à (re)découvrir en version restaurée inédite : L’Amour est plus froid que la mort, Le Bouc, Prenez garde à la sainte putain, Le Marchand des quatre saisons, Les Larmes amères de Petra Von Kant, Martha, Tous les autres s’appellent Ali. Revenons sur quatre d'entre eux.

LES LARMES AMERES DE PETRA VON KANT

(Die Bitteren Tränen der Petra Von Kant – Allemagne – 1972)

Avec Margit Carstensen, Hanna Schygulla, Eva Mattes, Katrin Schaake

Œuvre un peu à part dans la filmographie de Fassbinder, Les Larmes amères de Petra Von Kant est l'une des deux pièces de théâtre que le cinéaste a portées à l’écran. Découpé en quatre grandes scènes, le film raconte l’histoire de cette femme qui a méprisé celui qui l’a aimée puis qui sera méprisé par celle qu’elle aime. La première scène pose la situation de cette femme qui a quitté son mari et que personne ne comprend. La seconde partie est celle de la rencontre; la troisième, celle du déchirement et la quatrième, l’enfer et la rédemption par le pardon. Rarement un film - et même une pièce de théâtre - a montré avec autant de violence l’état de dépendance amoureuse. L’exposition des tourments de cette femme, au début parfaitement indifférente, impressionne tant par sa profondeur que par l’impossibilité de s’en défaire. Et le propos du film est implacable: quand une relation a commencé déséquilibrée, ce déséquilibre ne peut que s’accentuer pour finalement tout faire voler en éclats. Le fait que ce soit une histoire d’amour homosexuelle ne choque pas et le film n’en a que plus de force; les deux femmes sont séduisantes, elles forment un couple sublime et les voir se déchirer lentement n’en est que plus bouleversant. Les éloges ne sont pas finis parce qu’il est impossible de faire l’impasse sur la beauté formelle de ce conte cruel. Filmé en décor unique, Fassbinder n’a pas négligé pour autant la mise en image des Larmes amères de Petra Von Kant: une utilisation subtile de mannequins renvoie aux personnages principaux et leur absence d’émotion, les maquillages donnent aux actrices tour à tour un teint vitreux ou un teint de cire pour une représentation visuelle des émotions d’une originalité peu commune. Mise à nu des sentiments amoureux, Les Larmes amères de Petra Von Kant est un mélo rongé jusqu’à l’os, un film entêtant et au final, déchirant.

TOUS LES AUTRES S'APPELLENT ALI

(Angst essen seele auf – Allemagne – 1973)

Avec Brigitte Mira, El Hedi Ben Salem, Barbara Valentin, Irm Hermann, Rainer Werner Fassbinder, Karl Scheydt

Remake avoué de Tout ce que le ciel permet du maître de Fassbinder, Douglas Sirk, Tous les autres s’appellent Ali ne parle pas seulement de la différence d’âge, comme le faisait son modèle, mais s’intéresse aussi et surtout au caractère multiculturel de ce couple. Toutes les remarques nauséabondes sont là, prononcées par une petite bourgeoisie étriquée jusqu’à l’étouffement: "ce sont tous des dégénérés, ils ne pensent qu’au sexe, ce sont des fainéants, ils ne se lavent pas…". Au milieu de ce déballage ordurier surnage ce couple touchant, deux êtres solitaires, héros improbables de mélodrame, une femme de ménage quinquagénaire et un immigré marocain. Réunis par une solitude débilitante, ils vont trouver un petit peu d’équilibre en s’occupant l’un de l’autre. Mais la pression sociale vient de partout: les enfants renient leur mère, les collègues cessent de parler à Emmi. A ce sujet, la scène de dispute chez l’épicier est impressionnante: l’épicier se tient là, sûr de son bon droit, décidé à pousser Ali à bout; l’injustice est là, évidente et appuyée par la conscience commune. A travers cette scène, et plusieurs remarques disséminées ça et là au cours du film, Fassbinder nous montre la petite bourgeoisie allemande et affirme que le nazisme n’est pas que le fruit du hasard ou d’une psychose collective, leur mentalité est largement responsable, si de telles horreurs sont possibles au quotidien, pourquoi pas à plus large échelle, puisque tout le monde pense la même chose. Et le cinéaste balance son propos par deux, trois images fugaces où Ali n’arrive plus à faire bonne figure. Toute cette pression sociale trace une croix sur sa solitude, qui est tout aussi réelle que celle d’Emmi. Et c’est aussi parce qu’il ne l’oublie pas que Fassbinder signe là non seulement un constat politique sanglant mais également un drame humain déchirant. Sans doute l'un des sommets dans l’œuvre de Fassbinder.

L’AMOUR EST PLUS FROID QUE LA MORT

Allemagne, 1969

Rainer Werner Fassbinder, Hanna Schygulla, Ulli Lommel, Peter Berling

Franz est poursuivi par un gangster répondant au nom de Bruno. Bientôt, les deux hommes deviennent amis et se partagent la même femme, Johanna. Mais celle-ci, lassée de Bruno, le dénonce à la police alors qu'il s'apprête à braquer une banque... Premier film, première image, et déjà le choc esthétique. Celui d’un noir et blanc magnifique et contrasté (peu de gris), transcendé par la fixité des plans et la composition des cadrages. Avec plusieurs années d’avance sur ses compatriotes cinéastes (Herzog, Wenders, Schlondorff…), Fassbinder impose un style qui hésite sans cesse entre l’onirisme (personnages figés) et le naturalisme (certaines scènes, comme par exemple celle du vol de lunettes, rappellent les fleurons de la Nouvelle Vague française). D’une liberté de ton insolente, d’une invention discrète mais persistante, le cinéma de Fassbinder s’impose avec ce premier film comme un éclat, un pavé dans la mare. Plus possible de passer à côté dorénavant, plus possible d’oublier ces personnages déjà un peu morts, se déplaçant d’ailleurs comme des zombies, figés comme des statues dans leur posture ridicule, incapable d’éprouver le sentiment qui pourrait les sauver. L’amour, triste comme l’indique le titre, se limite ici à des échanges de monnaie, à quelques mots, quelques gestes. L’ennui, le désespoir, transportent les personnages pour mieux les laisser sur le bas côté de la route. Ceux-ci, dans une Allemagne encore sous le choc de la guerre, n’ont aucune chance de s’en sortir.

PRENEZ GARDE À LA SAINTE PUTAIN

Allemagne, 1970

Avec Lou Castel, Eddie Constantine, Hanna Schygulla, Marquard Bohm, Rainer Werner Fassbinder, Ulli Lommel, Margarethe von Trotta, Werner Schroeter

Dans un hôtel quelque part au bord de la mer en Espagne, l'équipe d'un film attend le metteur en scène, la star, l'argent et le matériel nécessaire pour commencer le tournage. Tendue par des intrigues et jalousies amoureuses, l'ambiance oscille entre hystérie et apathie. Quand le metteur en scène arrive enfin avec la star, il devient aussitôt le centre du chaos. Les couples et groupes se font et se défont. «Quand on évoque les circonstances dans lesquelles fut réalisé le film-clé, rétrospectif et autocritique, de la première période de Fassbinder, Prenez garde à la sainte putain, on renvoie parfois aux conflits qui se produisirent sur le tournage de Whity. La "putain" en question, c'est le cinéma en général et la réalisation de films en particulier», écrit Thomas Elsaesser dans son essai Rainer Werner Fassbinder, un cinéaste d'Allemagne. A partir d’un point de départ finalement proche de celui utilisé plus tard par Wenders pour le sublime Etat des choses, Fassbinder déploie un univers bariolé, clos, renfermé sur lui-même, un univers avec ses propres codes, qu’ils soient sentimentaux, vestimentaires, professionnels, etc. Un univers qui n’a pour seule porte vers l’extérieur que les allers et venues des producteurs et de l’argent. Les personnages s’ennuient, s’engueulent, et cet ennui nourrit le film, le transcende, pour l’élever au niveau de la Comédie Humaine que Fassbinder a développé de film en film. Oeuvre charnière dans la filmographie du cinéaste, Prenez garde à la sainte putain, présenté dans une copie magnifique, est sans doute le film du coffret à ne pas manquer.

par Anthony Sitruk

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