Portrait d'une enfant déchue
De Schatzberg Jerry
Éditeur : Carlotta Films
Zone 2
Nombre de disques : 1
Durée : 1h45
Sortie : 22/02/2012
Ancienne célébrité de mannequinat, Lou Andreas Sand s’est isolée dans une maison au bord de l’océan où elle tente de vivre autrement, en se consacrant à la poésie et à la sculpture. Abîmée par la dépression et les excès, elle reçoit la visite de son ami photographe Aaron Reinhardt. Il tente avec elle de faire le point sur sa vie.
THE STORY OF EVERYBODY’S LIFE
Attention chef d’œuvre. Comment ce tout premier film de Jerry Schatzberg (sortant juste de sa carrière de photographe de mode, et pas encore palmé pour L’Epouvantail), produit par Universal et avec Faye Dunaway dans le rôle principal (pourtant déjà icônisée par Bonnie and Clyde), a-t-il pu passer aussi inaperçu à sa sortie en 1970, alors que ce que l’on n’appelait pas encore le Nouvel Hollywood était en plein essor ? Abandonné par le studio qui ne croyait guère au film, à peine distribué, incompris par la critique et exporté uniquement en France… c’est une carrière maudite que vient réparer aujourd’hui la ressortie de ce Portait d’une enfant déchue. 30 ans après, le film n’a aucunement perdu de son éclat. Bien au contraire.
On a devant cet incroyable Portait… une impression assez surprenante : celle de voir à la fois un film si ce n’est typique, au moins représentatif des années 70’s hollywoodiennes, et en même temps de découvrir un film hors-normes, parfois complètement bizarre. L’origine de cette étrangeté, de cette singularité frappante, est à chercher dans le titre original du film : Puzzle of a Downfall Child. C’est bel et bien de puzzle dont il est question : des mille morceaux de Lou Andreas Sand éparpillés dans le temps et sa mémoire. Un angoissant kaléidoscope de frustrations et désillusions, portrait émouvant d’une mannequin entre deux âges, devenue has-been et inutile dans sa propre vie à 30 ans à peine. Pour son scénario, Jerry Schatzberg dit d’ailleurs s’être inspiré de la vie d’une de ses amies de l’époque, célèbre modèle tombé dans l’oubli, et si le film ne cesse jamais d’être réaliste et crédible, il le fait là, encore une fois, à la manière d’un puzzle, via une chronologie toujours malmenée. Plutôt qu’un simple enchainement de flashbacks, le récit de cette déchéance suit plutôt le flot tumultueux du courant de conscience de son héroïne, passant d’une scène à l’autre par des associations brutales, parfois quasi-surréalistes, des images presque subliminales telles ces coups de feu sortis de nulle part sur une plage, une bonne sœur donnant un coup de sifflet, un visage soudain déformé dans un miroir… tant de souvenirs violents qui bouillonnent et surgissent, et qui donnent au long métrage un aspect angoissant et mystérieux, un mal-être dont on ne sait jamais vraiment d’où il vient.
Prenant pour prétexte initial une interview donnée par l’héroïne vieillie, revenant sur sa carrière face à un dictaphone, le film parvient à rester complètement surprenant en permanence. D’une part grâce à ce mélange des époques, ce va-et-vient des fantasmes et de la réalité, mais surtout grâce à une idée géniale de Schatzberg : avoir renoncé à prendre deux actrices différentes pour jouer l’héroïne jeune et âgée, ce qui aurait été un choix nettement plus classique et attendu. Car non seulement Faye Dunaway joue tous les âges et états de son personnage, mais sans jamais vraiment changer de visage, sans se vieillir ou rajeunir artificiellement avec un maquillage trop grossier, mais en laissant au contraire tout reposer sur la crédibilité de son interprétation. Un choix audacieux, presque un détail en apparence parmi les nombreuses qualités du film, mais au-delà de renforcer l’empathie face à son héroïne, cela participe grandement à rendre la frontière entre souvenir et fantasme d’un flou des plus stimulants.
Comment ne pas louer le jeu exceptionnel de Faye Dunaway ? Elle donne ici rien de moins que sa meilleure performance, une sorte de point d’orgue de sa carrière pourtant jeune à l’époque. Elle qui a toujours été parfaite, même dans Columbo et les plus improbables nanars (Maman très chère, où elle est le seul élément crédible du film) crève littéralement l’écran à chaque scène. Trente ans après, et maintenant que ses rôles se font hélas nettement plus rares, il est tentant de voir en cette enfant déchue le rôle de sa vie. Il était grand temps de redonner au film tout ce qu’il mérite : les plus hautes places sur le podium des années 70.
Bonus
Passé maître dans l'art des éditions DVD de qualité, Carlotta poursuit son travail exemplaire sur le format du blu-ray, prenant soin ici de conserver le grain si particulier de ce film ainsi que ses teintes mates. On imagine sans peine un autre éditeur nettoyer le master et rehausser les couleurs, au détriment de ce qui semble être une volonté de réalisateur. Niveau bonus, on se limite ici à deux suppléments (trois avec la bande-annonce) mais de taille. L’interview du réalisateur par Michel Ciment est le gros morceau puisque les deux reviennent ensemble et en détail sur l’importance historique du film et sur son accueil à l’époque de sa sortie. Ils évoquent également les choix de mise en scène de Jerry Schatzberg, photographe dont c’était là le premier film. Cette interview est complétée par un témoignage de Pierre Rissient, qui avait découvert le film aux Etats-Unis et avait souhaité le distribuer en France, avec le succès que l’on sait.