Phantom of the Paradise
Éditeur : Carlotta Films
Zone 2
Nombre de disques : 1
Durée : 1h35
Sortie : 12/04/2017
Winslow Leach, jeune compositeur inconnu, tente désespérément de faire connaître l’opéra qu’il a composé. Swan, producteur et patron du label Death Records, est à la recherche de nouveaux talents pour l’inauguration du Paradise, le Palais du Rock qu’il veut lancer. Il vole la partition de Leach, et le fait enfermer pour trafic de drogue. Brisé, défiguré, ayant perdu sa voix, le malheureux compositeur parvient à s’évader. Il revient hanter le Paradise…
« Swan… Il n’a pas d’autre nom… Son passé est un mystère… Son œuvre déjà une légende… Il a produit son premier disque d’or à 14 ans. Depuis, il en a tant remportés qu’il a tenté de les déposer à Fort Knox. Il a introduit le blues en Angleterre… et Liverpool en Amérique. Il a réconcilié le folk et le rock. Son groupe, les Juicy fruits, a créé de toute pièce la mode rétro. À présent, il cherche une musique interplanétaire qui inaugurera son Xanadu, son Disneyland, le Paradise, le super palais du rock. Ce film est l’histoire de cette quête, de cette musique, de l’homme qui la créa, de la fille qui la chanta, du monstre qui la vola. »
Ces quelques mots, récités sur l’un des plus beaux génériques du cinéma, ouvrent ce qui est considéré par certains comme le meilleur film au monde. Rétablissons tout de suite la vérité: Phantom of the Paradise n’est pas le chef d’œuvre de Brian De Palma. On lui préfèrera sans doute L’impasse, notamment. Il n’en reste pas moins son film le plus jouissif, le plus beau, le plus intrigant. Parodie adaptée de certains classiques de la littérature fantastique (Faust, Le Portrait de Dorian Gray, Frankenstein, etc.) et réalisée dans des décors créés en hommage à ceux du Cabinet du Dr. Caligari, le film de De Palma est également reconnu pour être le premier clip de l’Histoire du cinéma. La mise en scène grandiose, épique, réjouissante, principalement dans les dernières séquences prenant place dans le fameux Paradise, rend superbement justice à ce qui est l’un des scripts les plus riches au monde. Utilisant la totalité du vocabulaire du cinéma, l’exploitant à son plein potentiel, De Palma pousse à leur maximum les expérimentations commencées sur ses films indépendants des années 60 (Hi, mom !) et sur Sisters. Ralentis, accélérés, split screen, multi-angles, etc., le cocktail est casse-gueule mais le résultat tient du miracle.
Jamais le film ne sombre dans le ridicule, jamais le film ne va trop loin. Jamais les "trucs" de De Palma n’auront été autant au point. Il suffit de revoir Carrie pour s’en convaincre: excellent film qui pâtit un peu du désir de Da Palma d’explorer au maximum les possibilités du montage et du filmage. Ici, le split screen, le plus beau jamais vu sur un écran, sert le propos, celui d’un monde dans lequel tout est surveillé par un démiurge conservant tout ce qu’il filme. Mais Phantom of the Paradise, c’est aussi et avant tout la symbiose parfaite entre l’écrit, le visuel et le sonore. Rarement un film n'aura été aussi réussi de ce côté-là. Superbement mises en valeur par des images et un montage à couper le souffle, les chansons de Paul Williams méritent un oscar pour chacune d’entre elles. Tenant du génie, la bande originale du film pourrait concourir au statut de plus culte au monde. Un délice prenant plus de valeur à chaque nouvelle écoute. Racontant l’histoire du faustien Swan, la musique et le film se servent de toute une partie de la littérature pour la malmener et l’emmener dans des contrées qu’elle n’était pas destinée à connaître. Quel rapport y a t-il entre Proust, Mary Shelley, Wilde, etc.? A priori aucun, et c’est bien là tout le génie de De Palma d’avoir su réunir toutes ces œuvres en un ensemble formidablement cohérent et homogène. Après des années d’attente, la sortie de ce film sur ce support constitue un événement qu’il ne faut pas négliger. Sous aucun prétexte!
Bonus
Magnifique édition, même si peu fournie dans sa version simple (par contre, si l’on opte pour le coffret collector, là c’est gavage à tous les étages). Présenté dans un superbe master, le film est enfin proposé dans une version qui lui rend honneur, restituant à merveille les couleurs, ainsi que les chansons de Paul Williams (à ce titre, on aurait aimé une plage audio permettant d’écouter les chansons seules !). Proposé en version originale et en version française, (et rappelons que celle-ci, contrairement aux idées reçues, est loin d’être ratée) cette édition confirme la beauté du film de de Palma, et son caractère unique dans l’œuvre du cinéaste et dans la Grande Histoire du Cinéma (à part The Rocky Horror Picture Show et Tommy, éventuellement).
Le gros morceau des bonus reste le documentaire « Paradise Regained », comprenant les indispensables interviews des participants du film, trente ans après sa réalisation. De Palma y revient sur la production du film et sur le choix des acteurs (à l’origine, Paul Williams devait interpréter Winslow Leach), sur le choix des chansons et sur leur composition (Paul Williams, justement, y fait mention de la fameuse chanson inédite qui ne se trouve pas sur l’album, chanson apparemment jamais enregistrée en intégralité), sur le culte et le succès du film (gros succès en France et dans certaines villes américaines, mais échec partout dans le reste du monde)... Anecdote moins connue : celle des trois procès qui ont suivi la sortie du film, celui-ci étant accusé bien entendu de plagiat. D’une cinquantaine de minutes, ce documentaire revient sur à peu près tous les aspects du métrage et de sa genèse.
Passé ce documentaire d’une cinquantaine de minutes, il reste la présentation de Gerrit Graham (interprête de Beef), amusante et sans spoiler, un karaoké de six chansons du film (dont le choix a été soumis aux votes des internautes), les spots radios et bandes-annonces, >, dont la plus courte met étonnement l’accent sur l’aspect horrifique du film, le vendant comme un monument du cinéma d’horreur.
Le coffret collector ajoute pour sa part, outre un copieux et passionnant bouquin de 150 pages, d’autres bonus plus ou moins intéressants. Dans les « moins », on a l’interview de la costumière, qui retrouve certains de ses travaux pour le film de de Palma et en commente la création, ou encore William Finley qui propose une fausse pub de 45 secondes, et le clip de Bob Sinclar adapté du film ferme la liste. Dans les « plus », on ne saurait trop vous conseiller de vous jeter directement sur l’interview de Paul Williams par Guillermo del Toro, soixante-dix minutes de pure bonheur entre deux artistes au respect mutuel immense, ou encore sur le documentaire de 33 minutes montrant un de Palma plonger dans les souvenirs du Paradise, évoquant notamment les difficultés d’écriture (et la brouille avec sa coscénariste), ou enfin sur un module revenant sur le nom de la maison de disques de Swann, qui a engendra quantité de problèmes de droits et d’astuces pour finalement en cacher le nom à l’écran.
Bref, Carlotta rend enfin justice à ce film hors-normes, diversement malmené par les éditions précédentes (dont on sauvera surtout en France l’édition Opening, en DVD seule). Il était temps !