Moustache (La)
De Carrère Emmanuel
Éditeur : Fox Pathé Europa
Zone 2
Nombre de disques : 1
Sortie : 15/02/2006
Un jour, Marc décide de se raser la moustache. Personne ne le remarque. A commencer par sa femme. Amis ou collègues, tous sont formels: non, ils ne voient pas la différence. Marc se ronge les sangs. A-t-il seulement été un jour moustachu?
L’ENNEMI DANS LA GLACE
L’argument pileux prête à sourire, mais La Moustache charrie une angoisse maladive, la perte et l’indifférence. Marc se rase la moustache, mais se coupe littéralement du monde. Devenu hors sujet, cheveu sur la soupe, épouvantail un peu raide, le coquet cherche les preuves de sa vie moustachue, celle où Agnès prenait le temps de le regarder. "Je t’aime avec, je te connais pas sans." Et c’est précisément cette absence grotesque, ce détail assassin qui bouleversent la vie du couple. Soudain, Agnès ignore Marc et ne satisfait plus son narcissisme, sa soif de reconnaissance. Emmanuel Carrère trace une boucle studieuse, troque un visage contre un autre, remue les fonds marins et se laisse porter par leurs sinuosités sans fin. La Moustache interroge davantage qu’il n’enseigne. La frustration est là, mais Carrère, en bon chimiste, s’intéresse à la dilution d’un corps, d’un souvenir - une identité à la dérive. Sa démonstration n’est pas scientifique, elle est purement fantastique. Recroquevillé sur lui-même, en position fœtale sur son lit, Marc ressasse les mêmes inquiétudes. L'oeil de Carrère tourne autour du corps inerte, comme le hublot d'une machine à laver. L'homme sans moustache est définitivement lessivé. La seule réponse à la détresse de Marc est la fuite. Une série de faux départs et de rituels qui tournent en rond, pour se réinventer et sauver sa peau, seul, sans l'être aimé.
SON REGARD ME GLACE
La Moustache ne soutient aucune thèse, la folie ou le caprice valent autant que la probabilité d'un monde parallèle et d'une machination extraterrestre. Les doutes et les tergiversations de Carrère ne sont pas aveux de faiblesse, ils accompagnent les pas chancelants du voyageur improvisé. La Moustache, par ses allers-retours, efface et redessine l'horizon, réajuste constamment ses perspectives. La vie de couple, symbolisée par la moustache qui joue à cache-cache, est d'abord une affaire de distance et de correspondance. Les points de vue divergent, le mariage menace d'imploser. Marc prévient Agnès: "J'ai pas envie qu'on se perde". Mais l'éloignement et la perte momentanée de l'épouse réévaluent les certitudes. L'essentiel n'est pas de se soumettre au jugement de l'autre, d'attendre son approbation, mais de lâcher prise, d'accepter les décrochages et les dissonances. Marc se dédouble et envisage plusieurs issues, Agnès dément et se contredit, les amitiés sont fluctuantes. La moustache repousse et le couple se recompose. Emmanuel Carrère avance et rembobine sa ritournelle, cherche la petite bête, se plaît à maintenir l'état d'urgence. L'obsession de Marc est la sienne: comment tenir une fiction, comment faire croire à un mensonge, comment défaire un point de vue, comment partir pour mieux revenir... La Moustache est un laboratoire modeste mais envoûtant, dont le petit microcosme en ébullition profite à deux superbes acteurs, Emmanuelle Devos et Vincent Lindon, l'éternel opppressé.
Bonus
De facture classique, les bonus se composent d’un teaser, d’une bande-annonce et d’un promo-reel sensiblement identiques, d’une galerie photos et d’un entretien entre Emmanuel Carrère et la monteuse Camille Cotte. L’habillage est sobre. L’intérêt se porte sur le making-of (22 minutes) réalisé par Isabelle Giordano, ex-madame cinéma de Canal+, et Christophe Ecoffet. Même s’il ne dit rien de nouveau sur les préparatifs et les difficultés d’un tournage, il fournit quelques pistes de lecture intéressantes. Le document est entrecoupé d’extraits, de brèves interviews d’Emmanuel Carrère et de ses acteurs. Emmanuelle Devos a été séduite par l'étrangeté du scénario, même si elle avoue n’avoir rien compris au film. Le sens de La Moustache, c’est "le problème de Carrère", qui "veut perdre le spectateur". En tant qu’actrice, elle ne fait que "regarder". Associée à Vincent Lindon, elle trouve facilement ses marques, les deux s’entendent si bien que le couple est une évidence. Elle découvre entre-temps l’angoisse de Lindon, son souci maladif du détail ("une exigence terrible", "une souffrance de jouer", "une haute idée du cinéma"). A la question "Qu’est-ce que le film dit de l’amour?", Lindon répond, catégorique: "Faut se regarder".
Même s’il reste évasif sur le propos du film, Emmanuel Carrère livre quelques clés: La Moustache parle d’un couple fusionnel, où les amants apprennent à vivre séparément. L’épilogue est donc optimiste, c’est "un progrès", un film "qui finit bien". Le dialogue entre Camille Cotte et Emmanuel Carrère permet d’étayer ce point de vue. Carrère aime les choses "qui se dérobent" et prône l’idéal "taoïste" d’un "laisser-faire". Parfaitement synchrone, Vincent Lindon apprécie le mouvement, le "laisser-filer". Chef d’orchestre tâtonnant se cherchant une légitimité, Carrère assène à ses acteurs de longues parenthèses explicatives, avant de réaliser qu’il n’en sait pas plus qu’eux et qu’il refuse le statut de psychanalyste, "celui qui est censé savoir". Son unique moteur était l’absence de réponse. On apprend enfin que quelques séquences ont été supprimées du montage final: l’introduction à Hong Kong, le trajet en avion de Marc, une conversation plus explicite entre Marc et la policière rencontrée devant le photomaton. Toutes les transitions qui articulent le récit et l’alourdissent inutilement.
En savoir plus
Interactivité :
De facture classique, les bonus se composent d’un teaser, d’une bande-annonce et d’un promo-reel sensiblement identiques, d’une galerie photos et d’un entretien entre Emmanuel Carrère et la monteuse Camille Cotte. L’habillage est sobre. L’intérêt se porte sur le making-of (22 minutes) réalisé par Isabelle Giordano, ex-madame cinéma de Canal+, et Christophe Ecoffet. Même s’il ne dit rien de nouveau sur les préparatifs et les difficultés d’un tournage, il fournit quelques pistes de lecture intéressantes. Le document est entrecoupé d’extraits, de brèves interviews d’Emmanuel Carrère et de ses acteurs. Emmanuelle Devos a été séduite par l'étrangeté du scénario, même si elle avoue n’avoir rien compris au film. Le sens de La Moustache, c’est "le problème de Carrère", qui "veut perdre le spectateur". En tant qu’actrice, elle ne fait que "regarder". Associée à Vincent Lindon, elle trouve facilement ses marques, les deux s’entendent si bien que le couple est une évidence. Elle découvre entre-temps l’angoisse de Lindon, son souci maladif du détail ("une exigence terrible", "une souffrance de jouer", "une haute idée du cinéma"). A la question "Qu’est-ce que le film dit de l’amour?", Lindon répond, catégorique: "Faut se regarder".
Même s’il reste évasif sur le propos du film, Emmanuel Carrère livre quelques clés: La Moustache parle d’un couple fusionnel, où les amants apprennent à vivre séparément. L’épilogue est donc optimiste, c’est "un progrès", un film "qui finit bien". Le dialogue entre Camille Cotte et Emmanuel Carrère permet d’étayer ce point de vue. Carrère aime les choses "qui se dérobent" et prône l’idéal "taoïste" d’un "laisser-faire". Parfaitement synchrone, Vincent Lindon apprécie le mouvement, le "laisser-filer". Chef d’orchestre tâtonnant se cherchant une légitimité, Carrère assène à ses acteurs de longues parenthèses explicatives, avant de réaliser qu’il n’en sait pas plus qu’eux et qu’il refuse le statut de psychanalyste, "celui qui est censé savoir". Son unique moteur était l’absence de réponse. On apprend enfin que quelques séquences ont été supprimées du montage final: l’introduction à Hong Kong, le trajet en avion de Marc, une conversation plus explicite entre Marc et la policière rencontrée devant le photomaton. Toutes les transitions qui articulent le récit et l’alourdissent inutilement.