Montag
De Köhler Ulrich
Éditeur : La Vie est belle Éditions
Zone 2
Nombre de disques : 1
Durée : 1h28
Sortie : 07/10/2008
Nina - médecin de profession -, son mari Frieder et leur petite fille Charlotte ont déménagé de Berlin à Kassel, où ils rénovent une vieille maison. Ca pourrait être le début d'une véritable idylle familiale. Nina, cependant, s'en va sans laisser un mot. Elle rend visite à son jeune frère dans la maison de vacances de ses parents (dans la région du Harz), où ce dernier s'est installé avec sa petite amie. Mais Nina ne s'y attarde pas non plus. Elle s'égare dans un paysage surréaliste de moyenne montagne et atterrit finalement dans un complexe hôtelier, où une ancienne star du tennis se laisse exploiter comme un animal de cirque. Après la rencontre entre ces deux coeurs esseulés, Nina rentre chez elle. Mais, plus rien ne sera comme avant.
COMME UN LUNDI
Lisez attentivement les lignes ci-dessus, copiées-collées du dossier de presse. Devrait y clignoter, coiffé d'un gyrophare d'alarme, un panneau jaune, criard, "ATTENTION SPOILERS", ainsi que FilmDeCulte a l'habitude d'en installer. Ce serait pourtant une première: un synopsis officiel dévoilant l'intrigue d'un film dans son intégralité, voilà qui sort de l'ordinaire. D'ailleurs, vous l'aurez noté, le panneau n'est pas là. Montag, pourtant, ne raconte rien de plus, ou presque, que ce que ces quelques lignes dessinent de cheminement narratif — et dans cet ordre même! Nina à l'hôpital, Nina dans la maison en chantier, Nina seule dans sa voiture, Nina chez son frère, Nina seule dans la montagne, Nina à l'hôtel, Nina seule dans sa chambre, Nina rejointe par l'ex-tennisman Ilie Nastase, et puis Nina qui revient sur ses pas. De cette trajectoire anti-événementielle, Ulrich Köhler tire une matière cinématographique paradoxalement dense, où chaque étape, raréfiée donc anticipée avec anxiété, résonne d'un impact décuplé. Ceci constaté, on peut s'amuser (ou se lamenter) de ce que l'atmosphérique Montag sorte la même semaine que le plombant Pardonnez-moi de Maïwenn: leur opposition est tellement radicale qu'elle en devient exemplaire. Autant l'option à la française des grandes engueulades familiales, avec force portes claquées et glandes lacrymales épuisées, s'enlise dans les marécages poisseux et théoriques de la psychologie à gros sabots, autant le dépouillement narratif extrême de la voie allemande, disposant subtilement ses indices de dérèglement, bouleverse et élève.
En témoigne une scène d'une brièveté foudroyante: Nina, que retaper la maison fatigue, s'est assoupie sur le canapé. Charlotte, sa petite fille, s'ennuie dans le salon. Elle s'approche de sa mère, saisit une mèche de ses cheveux et la tire brutalement. Nina est tirée de son sommeil en sursaut. Sans mot dire, elle agrippe à son tour la chevelure de Charlotte, tire, et fait tomber l'enfant à terre. D'une incroyable violence, cette scène n'a pourtant aucun écho concret dans le reste du film. Immédiatement suivie d'une coupe et d'une ellipse, elle demeure ainsi en suspends, croche soudainement dissonante d'une partition atonale. Il ne s'agira pourtant pas, dans Montag, de disséquer dans le détail les maltraitances d'une mère indigne envers sa fille. Au contraire: aucun autre indicateur de violence physique ne se manifestera par la suite — et Charlotte bondira dans les bras de sa mère, et sa mère la serrera tendrement. Voyez, en face, de quelle épaisse manière Maïwenn charge son obscène tartine, lors d'un climax censé reconstituer le trauma originel en faisant gicler le sang sur les murs et la pisse sur le sol. Montag désarçonnera sans doute qui ne jure que par l'hystérie névrotique et transmettra peut-être à certains un peu de l'ennui de ses personnages. Mais Ulrich Köhler n'aura pas à en rougir: les autres, ceux qui auront pris le risque de perdre pied, seront récompensés.
Bonus
Il faut saluer le travail éditorial de La vie est belle, qui outre Montag, permet aux spectateurs français de découvrir le premier film inédit d'Ulrich Köhler, l'impressionnant Bungalow, long métrage bluffant d'une rare rigueur formelle. La mise en scène de ce récit somme toute classique d'une adolescence en crise force en effet le respect, par sa composition maniaque mais jamais empesée de plans-séquences complexes, conférant aux différentes profondeurs de champ autant de valeurs de suspense, qui produisent une tension réelle et continue.
Autre morceau de choix, le très beau court métrage Feldstrasse, expérimentation super-8, tant brillante qu'évidente, des possibilités d'échelles, d'angles et d'effets de montage, bref de jeux sur le réel, qu'induit l'acte de prises de vue. Moins d'enthousiasme en revanche pour Palü, court métrage un peu opaque, mais réaffirmant ce qu'on pressentait déjà de ponts avec le cinéma de genre entretenus par le cinéma de Köhler. Enfin on passera rapidement sur le trop court Entretien avec le cinéaste, qui n'apporte pas grand chose à l'ensemble.