Mammuth

Mammuth
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Mammuth
De Delépine Benoît, Kervern Gustave
Éditeur : Ad Vitam
Zone 2
Nombre de disques : 1
Durée : 1h50
Sortie : 02/11/2010
Note du film : *****-

Serge Pilardosse vient d'avoir 60 ans. Il travaille depuis l'âge de 16 ans, jamais au chômage, jamais malade. Mais l'heure de la retraite a sonné, et c'est la désillusion : il lui manque des points, certains employeurs ayant oublié de le déclarer ! Poussé par Catherine, sa femme, il enfourche sa vieille moto des années 70, une " Mammut " qui lui vaut son surnom, et part à la recherche de ses bulletins de salaires. Durant son périple, il retrouve son passé et sa quête de documents administratifs devient bientôt accessoire...

L'HOMME A LA MOTO

Mammuth: son moteur de voiture, sa cylindrée à 1278cm³, son Depardieu perché dessus, dodu bonhomme coiffé comme Mickey Rourke et lancé dans un trip à la Easy Rider. Dans leur premier long métrage, le duo Delépine/Kervern filmait l'improbable road-movie en fauteuil roulant de deux ennemis; dans ce Mammuth, le road-movie se fait à l'ancienne, moto vintage lancée sur les routes et longue chevelure au vent. On a pu vérifier, des sketches de Groland à leurs précédents films, le goût anar qui traverse l'œuvre des deux compères. Le point de départ de Mammuth est aussi con que lumineux: arrivé à 60 ans, Serge doit faire la course aux papiers administratifs auprès de ses employeurs successifs pour toucher sa retraite. Un prétexte pour dérouler le fil de sa vie, bringuebalée entre bars et fêtes foraines, d'un job miteux à un autre. Mais nulle intervention de Frédéric Mitterrand: on n'ouvre pas le grand livre de C'est votre vie, on fait plutôt le portrait absurde d'une existence en forme de grosse farce sociale, où le cadre, souvent à distance, croque son héros dans un décor énorme, lui tout petit - voir ce plan fixe où Serge, dans une caravane, ergote pour un papelard tandis que des manèges vides s'agitent au-dessus de sa tête.

Anar et poétique. Delépine et Kervern auraient vite fait de lancer leur sérénade de foule sentimentale, mais l'univers de Mammuth, comme celui du travail, comme le monde en général, est brutal, pas béat, qu'il s'agisse d'un boss exaspéré ou du premier pékin en jogging prêt à se battre pour trois centimes trouvés sur une plage. Et la poésie dans tout ça? Serge, lunaire, ailleurs, voit des spectres qui le poursuivent, un en particulier, amour perdu qui s'accroche à son épaule. En reformant le couple Depardieu/Adjani, Delépine et Kervern convoquent toute une mythologie de cinéma, le couple de Camille Claudel ou de Barocco, dans cette histoire, justement, de souvenirs retrouvés et de fantômes. "Nos films sont réalistes poétiques. Réalistes, parce qu'ils parlent du monde réel. Poétiques, parce qu'ils essaient de lui échapper". Mammuth ne néglige pas les gags absurdes: Yolande Moreau prisonnière d'une boite vocale, elle qui incarne une caissière pragmatique mais à deux doigts de brûler vive la première pétasse qui passe; ou Depardieu, piégé dans un flot étouffant de mémés en vadrouille. Mais il brille aussi par cette mélancolie, jamais tartinée de bons sentiments pâteux, plutôt animée par cet esprit dans ta face qui semble gouverner tous les personnages, de bords de route en retrouvailles.

par Nicolas Bardot

Bonus

Avec son image très prononcée, il était facile de bâcler le travail de transposition du film de Délépine et Kervern. Heureusement pour nous, l'éditeur arrive à rendre justice au grain si bien identifiable et nécessaire de l'œuvre des deux compères et s'en sort avec tous les honneurs. Quant aux bonus, là encore on peut observer tout le côté atypique de l'œuvre, puisque l'on n'y trouvera pas les conventionnelles bandes-annonces, scènes coupées ou autres commentaires audio mais juste un making-of sobrement intitulé Making fuck off. Tout un programme. Bien loin des traditionnels compte rendu de tournage, ce module réalisé par Fred Poulet et d'une durée de 58 minutes, est une œuvre à part entière. Produit par les réalisateurs qui souhaitaient garder une trace d'un projet qu'ils n'étaient pas sûrs de pouvoir mener à bout, le film pourrait se présenter à la fois comme un témoignage de guerre sincère et à fleur de peau tout comme un projet arty pour une trace "débile" (dixit Délépine). Avec Lost in la mancha comme source d'inspiration, cette œuvre bien singulière, contemplative, parfois à la limite de l'expérimental, capte l'aventure humaine du tournage et s'attarde sur les doutes de Yolande Moreau, les états d'âmes de Gérard Depardieu, la pugnacité fragile des réalisateurs ou des extraits du festival de Berlin ou le film avait fait sensation en terminant sur un coup d'amour (ou plutôt un témoignage d'au revoir) de Depardieu à Guillaume, son fils disparu trop vite. Vous l'aurez compris, ce Making fuck off à tout du bonus exemplaire qui vaut presque autant que le film lui-même.

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