Killer Joe
De Friedkin William
Éditeur : Pyramide Video
Zone 2
Nombre de disques : 1
Durée : 1h42
Sortie : 06/02/2013
Chris, 22 ans, minable dealer de son état, doit trouver 6 000 dollars ou on ne donnera pas cher de sa peau. Une lueur d’espoir germe dans son esprit lorsque se présente à lui une arnaque à l’assurance vie. Celle que sa crapule de mère a contractée pour 50 000 dollars. Mais qui va se charger du sale boulot ? Killer Joe est appelé à la rescousse. Flic le jour, tueur à gages la nuit, il pourrait être la solution au problème. Seul hic : il se fait payer d’avance, ce qui n’est clairement pas une option pour Chris qui n’a pas un sou en poche. Chris tente de négocier mais Killer Joe refuse d’aller plus loin. Il a des principes…jusqu’à ce qu’il rencontre Dottie, la charmante sœur de Chris. Alors Killer Joe veut bien qu’on le paye sur le fric de l’assurance si on le laisse jouer avec Dottie.
MON AMI JOE
Peu de metteurs en scène peuvent se vanter d'avoir une carrière aussi éclectique que William Friedkin. Depuis Good Times, pantalonnade avec Sonny & Cher réalisée il y a 45 ans, celui que ses amis surnomment Hurricane Bill n'a pas chômé, se rendant responsable d'une poignée de petites pépites comme Le Convoi de la peur, La Chasse, Bug, ou encore Police Fédérale Los Angeles, d'incidents de parcours embarrassants du genre Blue Chips ou La Nurse, mais surtout de deux classiques inoxydables réalisés coup sur coup à l'aube des 70's, French Connection et L'Exorciste. Et si son dernier film, Killer Joe, ne se hisse pas à la hauteur de ses deux chefs-d’œuvre, il vient sans mal rejoindre le rang des réussites incontestables.
Adapté d'une pièce du dramaturge Tracy Letts, tout comme Bug, Killer Joe troque la parano et les punaises de lit de ce dernier pour un superbe portrait de famille dysfonctionnelle white trash. Sous le soleil texan, Chris (Emile Hirsch) est un dealer à la petite semaine qui doit une coquette somme à un mafieux local et ne trouve rien de mieux pour parvenir à ses fins que de piocher dans l'assurance-vie de sa mère indigne. Mais pour toucher cet argent, encore faut-il qu'elle soit morte… Il soumet cette riche idée à Ansel, son père (Thomas Haden-Church) un paumé qui vit dans un mobile-home, avec sa nouvelle femme Sharla (Gina Gershon) et Dottie (Juno Temple), la soeur de Chris. Pour Chris, la solution à leur problème s'appelle Killer Joe (Matthew McConaughey), un flic du coin qui fait quelques petits extras, et qui va vite se révéler très attiré par la jeune Dottie. La mécanique infernale est en route, et en dire plus serait gâcher le plaisir de la découverte.
A l'inverse de Bug, qui était conçu comme un huis-clos, et autorisait de nombreux effets de mise-en-scène pour accentuer son côté claustro-malade, Friedkin plante le décor entre trailer-park sous la flotte et chien qui hurle à la mort, terrains vagues et constructions à l'abandon écrasées de soleil, et adopte une mise-en-scène discrète, avec une science du découpage qui lui permet d'éviter les écueils du théâtre filmé, en restant entièrement au service d'acteurs savamment choisis. Emile Hirsch est désarmant de naturel en natural born loser qui foire absolument tout ce qu'il entreprend, petit frère spirituel du Sean Penn de U-Turn, Thomas Haden Church également épatant en nigaud de service qui semble ne strictement rien capter de tout ce qui se trame autour de lui, Gina Gershon compose courageusement un personnage en forme de Daisy Duck version radasse de compétition, se baladant en nuisette sans culotte, suintant le calcul et la mauvaiseté, et face à eux, en contre-emploi total de ses rôles de séducteurs de romcom du samedi soir, Matthew McConaughey se régale, avec force accent traînant, et démarche tranquille, jouant avec ses nouveaux amis comme un serpent noir à qui on aurait offert trois belles souris blanches et dodues. Et surtout, rayonnant doucement au-dessus des autres, il y a Juno Temple, qui achève de faire de Dottie le personnage le plus complexe, mais surtout le plus beau ; une petite chose ingénue, infantilisée et instrumentalisée par les siens, qui se métamorphose dans le regard de Joe, et que la jeune comédienne incarne à la perfection, tout en nuances, l'affranchissant de son statut de victime, à mesure qu'elle se découvre.
Outre ce personnage génial, ce qui fait tout le sel de Killer Joe, c'est la manière dont il fait se télescoper brillamment le Film Noir, avec ses personnages de perdants qui pensant donner un coup de pouce à leur destin ne font que s'engluer de plus en plus, la love-story improbable entre deux êtres que tout oppose a priori mais qui se révèlent l'un l'autre, et la comédie noire, à la Coen Bros., avec ses personnages authentiquement stupides, ses ruptures de ton et ses petits détails barrés, le tout culminant lors d'une scène absolument surréaliste, à la limite de la performance, qu'on se gardera bien de dévoiler, mais qui ne laissera personne indifférent. Il ne manque peut-être qu'un peu de fond à Killer Joe pour accéder à une dimension supérieure, mais en l'état, c'est clairement un film comme on en voit pas toutes les semaines, vraiment agréable à suivre, léché, et sans aucun temps mort. Mais plus important encore, c'est surtout la confirmation que Bug n'était pas un happy accident et que le talent William Friedkin est toujours intact, en espérant simplement qu'il ait encore beaucoup d'histoires à nous raconter.
Olivier Sarrazin
Bonus
Portrait d'une Amérique peu aimable propose 35 minutes d’entretiens avec William Friedkin et ses acteurs. Le réalisateur s’épanche généreusement sur ses démêlées avec la censure, en revenant en particulier sur les légendaires scènes hardcore qu’il avait intégrées dans le montage original de Cruising. Il revient également sur les étapes du casting et sur la personnalité de chacun des acteurs, tous excellents avec quand même une mention spéciale à Matthew McConaughey et à Juno Temple. Le premier, habitué des comédies romantiques, a su donner à son personnage une ambiguïté troublante. La seconde, jeune anglaise fille du réalisateur Julian Temple, s’est glissée dans le rôle d’une adolescente white trash du sud des états unis avec une maîtrise sans faille. Ce documentaire permet enfin à William Friedkin de revenir sur ses principales influences, soit Harold Pinter au théâtre avec The birthday party et son réjouissant jeu de massacre final et Dreyer au cinéma avec Ordet, qui fut l’une des sources principale de L’Exorciste.