Fleur du mal (La)
De Chabrol Claude
Éditeur : MK2 Editions
Zone 2
Nombre de disques : 1
Sortie : 17/09/2003
La famille Charpin-Vasseur vit avec le souvenir du meurtre du père collabo dans les années d’après-guerre. Aujourd’hui, cette affaire semble enterrée, mais un tract vient la remettre à jour, afin de saboter la campagne électorale d’Anne qui se présente aux législatives. Au grand dam de son mari, Gérard, voyant ce projet d’un mauvais œil. Qui a écrit le tract? Qui a tué le père cinquante années plus tôt?
LE PASSE N’EST JAMAIS MORT
Avant le film, il y a le titre. Un titre qui reprend ici, effrontément, l’Oxymore de Baudelaire, que Chabrol fait aujourd’hui sienne en lui imposant le singulier. Quelle est donc cette fleur du mal, qui se répand et gangrène le passé et l’avenir de la famille Charpin-Vasseur? Dans cette vieille lignée de la Bourgeoisie française, tout le monde est coupable. D’avoir assassiné le père, le mari, la femme, le fils. De n’avoir rien dit. Et surtout coupable d’appartenir à une famille maudite qui tente aujourd’hui de faire bonne figure en présentant l’un de ses membres aux élections municipales. Premier indice: "le temps n’existe pas. C’est un présent perpétuel". Aphorisme que l’on pourrait désigner comme faulknerien ("Le passé n’est jamais mort, il n’est même pas passé"), mais qui aujourd’hui s’accorde finalement si bien au petit monde du cinéaste. Le temps, véritable ruban de moebius, se répète inlassablement, s’enroulant autour des personnages, les faisant danser autour d’un même destin commun. Tout n’est que répétition, c’est la première force du film chiasme de Claude Chabrol et c’est le véritable drame de la famille qu’il décrit. La fleur du mal, c’est avant tout cet objet fractal qu’est le temps, qui fige l’âme humaine en proie aux malheurs de l’existence. Les meubles restent inchangés malgré les cinquante années qui séparent le prologue du reste du film. Les dialogues ont ce charme suranné des films d’avant guerre, cette artificialité qui les rend hors du temps. Un tract infamant fait le lien entre passé et présent. Autant de détails qui trahissent le vieillissement d’une famille condamnée à tracer des cercles concentriques autour de l’escalier de la maison, objet à la symbolique forte, que Chabrol désigne comme étant celle du temps qui se meut tout en restant immobile – mais qui s’apparente tout autant à la métaphorique toile d’araignée dans laquelle évolue le personnage de Soupçons d’Alfred Hitchcock.
PRINCIPE DE L’ENFERMEMENT
Deuxième indice: "l’univers montré est l’univers existant", principe langien qui enferme les personnages à double tour dans un cadre réduit, celui de la caméra, de la maison bourgeoise, de la pharmacie, ou de la cage à oiseaux du jardin d’hiver. Le reste n’existe que peu et trahit plutôt une incapacité totale des personnages à s’extirper de ce cadre. La Maison du Pyla, dans laquelle Benoît Magimel et Mélanie Doutey s’évadent le temps d’un week-end, est elle-même une maison du souvenir dans laquelle il s’agit avant tout de perpétuer la tradition familiale. Il y a chez Chabrol une véritable philosophie du lieu, que l’on savait sous-jacente, et qui se révèle à chaque film un peu plus. Chaque personnage possède un lieu de prédilection en dehors duquel il se sent étranger. Chaque pièce possède un passé qui lui est propre, enfermant un peu plus les actants dans un carcan historique duquel ils ne peuvent se détacher. La maison bourgeoise, véritable repère de la Tante Line, est à ce titre représentative du lieu chabrolien par excellence. Constituée de vieux murs, décorée de meubles anciens, elle fait le lien entre l’histoire d’hier et celle d’aujourd’hui, entre celle qui a vu le meurtre du père, et celle qui entraînera la répétition de ce moment initial. Thème qui trouve une résonance dans ce fabuleux travelling descendant qui enferme la jeune Michèle et sa Tante Line dans un même destin représenté par la cage du jardin d’hiver. Séparées par une ligne verticale, elles se font face dans un rapport de force qui se terminera ironiquement par un match nul. Réflexion qui trouve son origine aussi bien dans la pression sociale que dans une coercition génétique et héréditaire, proche du naturalisme de Zola.
J’ACCUSE
Le principe d’adaptation de l’œuvre de Zola est ici différent de celui adopté pour le film tiré du roman Madame Bovary de Gustave Flaubert. A l’illustration, Chabrol préfère cette fois une simple reprise des thèmes forts de l’écrivain, thèmes qu’il digère lentement dans un scénario qui est le sien. Comment ne pas voir la lignée des Rougon-Macquart dans celle des Charpin-Vasseur (troisième indice)? Même nom composé, même pêché originel qui dirige l’avenir de la famille. On savait depuis longtemps que l’œuvre de Chabrol s’apparentait, comme celle de l’auteur de J’accuse, à une gigantesque comédie humaine. Observateur d’un jeu de forces naturelles qui gouverne le destin d’une famille, le cinéaste adopte le ton acéré du romancier, décrivant ses personnages comme autant de descendants d’une lignée pervertie et révélée par le tract infamant, véritable MacGuffin. Faux déclencheur de l’intrigue, ce tract révèle peu à peu la véritable facette d’une famille prise entre l’étau d’un passé trop lourd (le meurtre) et d’un milieu envahissant (la bourgeoisie, les élections). Véritable clan dégénéré, les Charpin-Vasseur se reproduisent entre eux, passant sous silence les quelques invraisemblances familiales (beaucoup trop de morts mystérieuses pour une même famille), et s’entremêlent dans une toile qui ne les lâche plus. Le mari trompe sa femme dans l’arrière boutique de sa pharmacie, elle-même le délaisse pour faire du porte à porte auprès de ses électeurs potentiels (scène d’une drôlerie cruelle), leurs enfants s’avouent leur amour réciproque… Devant un tel portrait, l’on peut se demander si l’auteur du tract n’est pas Chabrol lui-même, et si cette fleur du mal ne désigne finalement pas l’ensemble de l’univers du cinéaste. Quoiqu’il en soit, le verdict est depuis longtemps connu. Tous coupables.
Bonus
Passons rapidement sur le premier disque, proposant le film dans une copie impeccable aux couleurs contrastées (impératif étant donné les décors du film), manquant toutefois d’éclat dans les scènes d’intérieur, accompagné d’un making of un peu court (25 minutes) mais non moins intéressant puisqu’il a le mérite de présenter Chabrol au travail. Démentant totalement la réputation de fainéantise que le cinéaste traîne depuis des années, ce document montre au contraire un artiste solide et précieux, délicat, soucieux du moindre détail, aimant néanmoins travailler dans la bonne humeur.
Le disque 2 s’avère déjà bien plus passionnant puisqu’il propose tout d’abord la "Leçon de cinéma de Claude Chabrol", sous la forme de cinq scènes commentées par le réalisateur. C’est dans cette succession d’anecdotes et d’explications que l’on prend pleinement conscience de la méticulosité du cinéma de Chabrol, de la force et du sens de chaque mouvement de caméra, le plus infime soit-il, de l’importance du placement des personnages (agencés mathématiquement sur un échiquier), etc. Depuis maintenant un an, au gré des sorties DVD, MK2 s’évertue à renverser l’image du cinéaste, à démontrer qu’il reste avant tout un filmeur précis et réfléchi. Cette Fleur du mal vient le confirmer avec panache.
En accompagnement, l’éditeur propose une longue interview de Caroline Eliacheff, scénariste du film, qui analyse les divers thèmes contenus dans le film, les mettant en parallèle avec ceux présents dans les deux autres films sur lesquels elle a collaboré avec Chabrol (La Cérémonie, Merci pour le chocolat). Revenant notamment sur la notion de passé, elle explicite plus précisément l’importance que peut avoir pour le cinéaste la temporalité dans les décors, dans les dialogues, dans la mise en scène, et souligne la thématique chabrolienne du présent (le futur ne peut exister tant que le passé n’a pas été oublié).
Enfin, bonus essentiel, "Claude Chabrol artisan" est un portrait magnifique du cinéaste, dans lequel interviennent ses collaborateurs les plus proches: Isabelle Huppert, Marin Karmitz, François Cluzet… Ponctué de nombreux extraits de films commentés par les acteurs (La Cérémonie, Rien ne va plus, Une Affaire de femmes…), entrecoupé d’extraits du tournage de La Fleur du mal, ce documentaire revient en 53 minutes sur l’œuvre d’un des plus grands cinéastes français.
LISTE DES BONUS
- Les 12 bandes-annonces de la collection Chabrol (23 mn) - La préface de Joël Magny - Le making-of réalisé par Patrick Le Gall (25 mn) - Le portrait de Claude Chabrol réalisé par Patrick Le Gall : "Claude Chabrol l'artisan" (52 mn) - L'interview de Caroline Eliacheff (15 mn) - Les scènes commentées (53 mn)
En savoir plus
Interactivité :
Passons rapidement sur le premier disque, proposant le film dans une copie impeccable aux couleurs contrastées (impératif étant donné les décors du film), manquant toutefois d’éclat dans les scènes d’intérieur, accompagné d’un making of un peu court (25 minutes) mais non moins intéressant puisqu’il a le mérite de présenter Chabrol au travail. Démentant totalement la réputation de fainéantise que le cinéaste traîne depuis des années, ce document montre au contraire un artiste solide et précieux, délicat, soucieux du moindre détail, aimant néanmoins travailler dans la bonne humeur.
Le disque 2 s’avère déjà bien plus passionnant puisqu’il propose tout d’abord la "Leçon de cinéma de Claude Chabrol", sous la forme de cinq scènes commentées par le réalisateur. C’est dans cette succession d’anecdotes et d’explications que l’on prend pleinement conscience de la méticulosité du cinéma de Chabrol, de la force et du sens de chaque mouvement de caméra, le plus infime soit-il, de l’importance du placement des personnages (agencés mathématiquement sur un échiquier), etc. Depuis maintenant un an, au gré des sorties DVD, MK2 s’évertue à renverser l’image du cinéaste, à démontrer qu’il reste avant tout un filmeur précis et réfléchi. Cette Fleur du mal vient le confirmer avec panache.
En accompagnement, l’éditeur propose une longue interview de Caroline Eliacheff, scénariste du film, qui analyse les divers thèmes contenus dans le film, les mettant en parallèle avec ceux présents dans les deux autres films sur lesquels elle a collaboré avec Chabrol (La Cérémonie, Merci pour le chocolat). Revenant notamment sur la notion de passé, elle explicite plus précisément l’importance que peut avoir pour le cinéaste la temporalité dans les décors, dans les dialogues, dans la mise en scène, et souligne la thématique chabrolienne du présent (le futur ne peut exister tant que le passé n’a pas été oublié).
Enfin, bonus essentiel, "Claude Chabrol artisan" est un portrait magnifique du cinéaste, dans lequel interviennent ses collaborateurs les plus proches: Isabelle Huppert, Marin Karmitz, François Cluzet… Ponctué de nombreux extraits de films commentés par les acteurs (La Cérémonie, Rien ne va plus, Une Affaire de femmes…), entrecoupé d’extraits du tournage de La Fleur du mal, ce documentaire revient en 53 minutes sur l’œuvre d’un des plus grands cinéastes français.
LISTE DES BONUS
- Les 12 bandes-annonces de la collection Chabrol (23 mn) - La préface de Joël Magny - Le making-of réalisé par Patrick Le Gall (25 mn) - Le portrait de Claude Chabrol réalisé par Patrick Le Gall : "Claude Chabrol l'artisan" (52 mn) - L'interview de Caroline Eliacheff (15 mn) - Les scènes commentées (53 mn)