Demoiselle d'honneur (La)
De Chabrol Claude
Éditeur : France Télévision Distribution
Zone 2
Nombre de disques : 1
Sortie : 22/06/2005
Philippe rencontre Senta lors du mariage de sa sœur. Très vite, il tombe amoureux de cette jeune fille mystérieuse qui lui fera perdre progressivement tous ses repères.
TRAMWAY FANTÔME
Que peut bien donner un Chabrol moins bon que les précédents? C’est la question que l’on peut se poser avec crainte à chaque nouveau film du cinéaste et il semble que pour cette fois elle soit justifiée. Il y a vingt ans, lorsqu’il ratait un film, ça donnait le fameux Folies bourgeoises et son soi-disant seul et unique plan réussi. Il y a dix ans, c’était Jours tranquilles à Clichy. Aujourd’hui, ça donne Au cœur du mensonge ou cette dernière Demoiselle d’honneur. La différence est flagrante, l’évolution – tant qualitative que thématique – du réalisateur aussi. Si l’on peut sans doute souligner et mettre en avant le contrat avantageux liant pour le meilleur Claude Chabrol à Marin Karmitz (qui justement ne produit pas ce film, ceci expliquant peut-être cela?); si l’on peut percevoir la sécheresse flagrante et salutaire d’un cinéma qui se désincarne un peu plus à chaque film; si l’on peut se réjouir du rajeunissement progressif des personnages dépeints; on remarque aussi systématiquement une mise en danger consciente et masochiste du dispositif chabrolien, au point de le jumeler formellement, et formellement seulement, à celui de Bresson. Même ton neutre du phrasé des acteurs, même désincarnation des personnages, même mise en place appliquée de cadrages quasi picturaux… Si le cinéma de Chabrol se tourne de plus en plus vers la figure du fantôme (déjà prégnante dans La Fleur du mal, sa tante Dide momifiée et son cadavre à l’étage), il ne se rapproche pas pour autant de ce que l’on appellerait vulgairement un film testamentaire. Bien au contraire, ce cinéma se débarrasse simplement un peu plus de ses oripeaux, de sa texture, pour devenir figé et fantasmagorique, tant au niveau de la forme que du fond d’ailleurs: univers proche du fantastique (grande bâtisse hantée dans laquelle les portes s'ouvrent toutes seules), personnages immobilisés par le temps, situation temporelle floue...
A LA VERTICALE DE L'HIVER
Surtout verticalité d'un dispositif qui, de film en film, s'oppose de plus en plus à celui horizontal et circulaire de L’Enfer, pour prendre un exemple récent. Comme dans les derniers films du cinéaste, l'escalier symbolise le passage entre plusieurs mondes, qui jusqu’à présent s'opposaient socialement (La Cérémonie), historiquement (La Fleur du mal) et aujourd’hui, ce qui est déjà plus inédit: métaphoriquement et spirituellement. Ce n’est pas nouveau, le cinéaste a fréquemment flirté avec le fantastique le plus pur, à travers certains de ses films précédents: Alice ou la dernière fugue, Les Liens du sang, Les Fantômes du Chapelier… Mais jamais la caméra n’était passée d’un genre à l’autre avec autant d’aisance. Soient deux mondes séparés par l’étage médiane et fantasmagorique représenté par ce couple répétant inlassablement à l’étage des pas de tango. Au sous-sol le cauchemar, au grenier la révélation salvatrice. A moins que ce ne soit l’inverse, Chabrol ayant pour habitude bien entendu de brouiller les pistes – d’autant qu’il se révèle bien plus intéressé par l’étude des mœurs et des comportements que par son intrigue policière. Cette bâtisse, véritable coursive vers un au-delà impur, devient sous l’œil du cinéaste un authentique labyrinthe vivant, respirant, suintant tel les murs bourbeux des fondations décrites par Lucio Fulci dans son fameux Aldilà. Et au-delà même de cette maison, ce sont tous les objets qui prennent soudainement vie de façon totalement malsaine, comme animés par des esprits pervers, amenant les personnages à les intégrer à leur propre vie. Idée surprenante qui trouve son comble horrifique et insalubre dans la nuit que Benoît Magimel passe avec la tête d’une statue de pierre ressemblant étrangement à Laura Smet.
PÂTEUX DE CAMPAGNE
Insidieusement, c’est vers Hitchcock que se tourne de plus en plus le cinéaste dans ce film où la mise en scène se fait volontairement pesante, où la musique souligne avec emphase chaque retournement de situation, chaque dialogue. Pour faire court, disons que Chabrol ne fait pas dans la dentelle, quoique la finesse absolue n’a jamais été particulièrement son fort – malgré l’évident talent d’écriture. Au milieu de ce film se tiennent les deux personnages principaux, grands corps malhabiles et désincarnés, qui prennent vie au fur et à mesure que leur amour grandit. Surtout celui de Senta, interprété par Laura Smet dont le jeu, principalement au début du film où Chabrol la fait volontairement jouer de façon pâteuse, peut néanmoins irriter. Alors que le cinéaste approche tranquillement et avec bonne humeur des 80 ans, son cinéma se tourne chaque fois un peu plus vers la jeunesse qu’il autopsie de nouveau au scalpel. Amour fou, amour jaloux, qui confine à la folie pure et aux envies de meurtre, on en revient bien entendu à L’Enfer, ce scénario de Clouzot que Chabrol avait prodigieusement adapté au début des années 90 et dans lequel la caméra formait des cercles concentriques autour du personnage de Cluzet. Même instabilité des situations, même incertitude dans les motivations des personnages, ce film délibérément terne confronte de très jeunes adultes à un amour impossible qu’ils ne peuvent maîtriser, car parasité par des éléments surnaturels. Alors ils plongent, l’un et l’autre, un peu plus chaque jour vers une psychose dans laquelle ils jouent leur vie et celle de l’autre. Avec un cinéaste aussi ambigu et badin que Chabrol, on ne sait jamais réellement si le jeu en vaut la chandelle, ni si les dés ne sont pas pipés dès le départ. Mais c’est sans doute aussi ce qui explique le trouble évident que l’on ressent à la vision de ce film imparfait, mais ô combien inquiétant.
Bonus
L’édition digipack (fort belle) de La Demoiselle d’honneur ne propose qu’un seul bonus (en dehors de la traditionnelle bande annonce)... Mais de taille. Une véritable leçon de cinéma absolument passionnante, durant plus d’1h40 : le making of en deux parties du film. Presque plus intéressant que le film en soit (pas le meilleur Chabrol), ce documentaire montre le maître au travail, délégant ses charges aux collaborateurs, aux accessoiristes, aux décorateurs, travaillant avec le chef opérateur le terne volontaire de la photographie, dirigeant les acteurs, etc. Autant dire que le DVD devient indispensable pour qui aime le cinéaste.
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Interactivité :
L’édition digipack (fort belle) de La Demoiselle d’honneur ne propose qu’un seul bonus (en dehors de la traditionnelle bande annonce)... Mais de taille. Une véritable leçon de cinéma absolument passionnante, durant plus d’1h40 : le making of en deux parties du film. Presque plus intéressant que le film en soit (pas le meilleur Chabrol), ce documentaire montre le maître au travail, délégant ses charges aux collaborateurs, aux accessoiristes, aux décorateurs, travaillant avec le chef opérateur le terne volontaire de la photographie, dirigeant les acteurs, etc. Autant dire que le DVD devient indispensable pour qui aime le cinéaste.