Aviator
De Scorsese Martin
Éditeur : TF1 Vidéo
Zone 2
Nombre de disques : 1
Sortie : 09/09/2005
L'histoire du mythique Howard Hughes, milliardaire à vingt ans, excentrique et séducteur notoire, réalisateur hollywoodien, écrivain et inventeur, leader de l'industrie aéronautique, pilote téméraire, visionnaire. Son ascension irrésistible, sa liaison avec Katharine Hepburn, sa déchéance.
LE NOUVEL HOLLYWOODIEN
Le cinéaste Jean-Pierre Melville – passionné d’Hollywood à la cinéphilie encyclopédique - confiait, juste avant de s’éteindre, qu’un réalisateur professionnel, en vieillissant, devenait de plus en plus classique sur la forme, ou bien ce n’était pas un professionnel. Ce précepte, auquel on peut assez aisément confronter un contre-exemple de qualité (Steven Spielberg), sied parfaitement à Martin Scorsese, qui n’a finalement jamais eu pour autre rêve avoué, que de devenir un jour ce réalisateur de studio, autrefois iconifié par John Ford ou Howard Hawks. Être le dernier maillon d’une production herculéenne, servant le spectacle à un maximum de curieux, et tout à la fois se respecter soi-même et respecter son histoire, et ses personnages, en livrant à l’intérieur de ce produit en apparence formaté, une œuvre unique et personnelle. Scorsese avait débuté sa carrière par un cinéma-vérité, dont le réalisme et l’inventivité narrative (respectivement Mean Streets et Taxi Driver) ont longtemps fait de lui l’un des fers de lance du cinéma indépendant. Toujours attiré par ce mythe du studio, le jeune cinéaste s’était par la suite risqué au difficile mélange entre auteurisme et sujets faisant habituellement l’apanage d’Hollywood (New York, New York et La Dernière Tentation du Christ piétinaient deux des plus prestigieuses chasses gardées qu’étaient en leur temps la comédie musicale et le péplum). Ces deux échecs colossaux – qui, associés au film de Cimino, La Porte du Paradis, marquèrent la fin d’une époque, et rendirent ces deux genres définitivement obsolètes - obligèrent Scorsese à fléchir le genou, et admettre que ce mythe tant convoité ne serait plus que chimère.
NE JAMAIS DIRE JAMAIS
Scorsese fit donc intelligemment la part des choses au début des années 90. Ressuscité par le sublime After Hours, il revendiqua hardiment son statut d’artiste indépendant et expérimenta la forme et le fond avec une audace et une réussite inégalées, en entrelaçant les qualités de ses premiers films (réalisme docu-fictionnel, écriture référentielle et innovante, mise en scène fiévreuse) pour livrer deux maîtres étalons que sont Les Affranchis et Casino. Il troqua définitivement au passage le format 1:85 pour le Scope, aujourd’hui indissociable de son cinéma. De l’autre côté, il continua à se familiariser aux commandes hollywoodiennes en réalisant La Couleur de l’argent et Les Nerfs à vif (aidé en cela par ses pairs, puisqu’il s’agit d’une suite et d’un remake de deux classiques des années 60). Scorsese a compris qu’il était vain d’espérer renouer avec l’époque dorée d’Hollywood, abordant films de genres issus des grands studios, en y injectant autre chose que sa précise direction d’acteurs et son énergique mise en images. Gangs of New York et Aviator abordent une nouvelle évolution de cette rupture dans la carrière de Scorsese, et peuvent être considérés comme une ouverture vers l’accomplissement de ce mythe tant espéré par le cinéaste. Fresques historiques légèrement étirées, aux scripts classiques, voire conventionnels, au casting trois étoiles - mêlant valeurs sûres et stars en devenir - véritables objets de dépaysement pour le public, comme une promesse de spectacle à la fois intelligent et divertissant. Soit un film américain de l’âge d’or des années 40 dans sa plus stricte définition, période justement abordée dans Aviator au travers du prisme Howard Hughes.
EN BOUT DE PISTE
Force est de reconnaître que Scorsese ne se renouvelle plus. Il se recycle. Il n’expérimente plus sur le cinéma en général, mais sur le sien en particulier. Il use désormais de sa propre grammaire cinématographique, mise en place au travers de son œuvre, pour construire de nouvelles phrases, pour conter de nouvelles histoires, celles des autres. Son style est arrivé il y a peu à maturité, et depuis la sortie de Gangs of New York, le sentiment qu’il ait tout dit sur ses intérêts et ses angoisses prédominait déjà. Si ce constat peut sembler décevant à la lecture, il est à noter que le bonhomme est trop talentueux pour se contenter de bégayer son cinéma. Car Aviator n’est pas à considérer comme un film-somme de ce savoir-faire, en dépit des nombreux emprunts narcissiques faits ici et là (néanmoins plus nombreux que de coutume), mais davantage comme un appendice à son univers, une nouvelle déclinaison d’un même verbe. Le personnage d’Howard Hughes - son précis mathématique et sa facette obsessionnelle – prolonge celui de Sam Rothstein (Casino), le montage renvoie bien souvent à celui des Affranchis, les nombreux flashs qui explosent dans un tonnerre de crépitements font écho à Raging Bull, les mouvements endiablés autour de l’avion de Hughes ondulent sur la même dynamique que ceux enveloppant l’ambulance d’À tombeau ouvert, la composition des cadres et la photographie réfléchissent plusieurs idées déjà contenues dans Casino, etc., car la liste est longue. Le cinéaste, et par incidence le directeur photo Robert Richardson et la monteuse Thelma Schoonmaker, multiplient les renvois à leur filmographie commune. Leur travail confine donc au déjà-vu répétitif, sans pour autant verser - et c’est à saluer - dans l’autosatisfaction. Car chaque effet est parfaitement justifié, et efficace, toujours.
THE LAST WALTZ
Ce n’est pas tant que la mise en scène de Scorsese puisse être taxée de classique, ou pire, d’académique, qui dérange. C’est qu’elle apparaisse d’une si grande maîtrise, presque simple, trop vissée, et d’une si imposante sobriété, presque monotone, trop peut-être pour qu’une émotion puisse s’y épanouir. Ce qu’il manque aujourd’hui, c’est le chaos anarchique – et pourtant travaillé – de ses premiers films, c’est aussi et surtout l’apport à l’écriture d’un Paul Schrader, d’un Jay Cocks ou d’un Nicholas Pileggi. Le script de Logan, bien rythmé malgré ses trois heures de récit, offre ici un parfait véhicule aux Oscars pour techniciens et comédiens, certes, mais préfère tirer vers l’exhaustivité de la vie tumultueuse de son personnage, plutôt que de condenser l’essence de plusieurs scènes secondaires en une unique scène majeure et incontestable. Et le cinéaste de suivre ces lignes fidèlement, s’appropriant certes le matériau, mais passant insensiblement à côté des moments d’errance de son personnage, alors qu’il avait lui-même si bien dépeint par le passé le trouble d’un Travis Bickle, ou la paranoïa d’un Henry Hill. Bien rôdé à l’exercice si singulier du biopic (du Jake La Motta de Raging Bull au Dalai Lama de Kundun, en passant par le Christ en personne), Scorsese livre ici son résultat le plus lisible, peut-être aussi le plus divertissant de tous, mais également le moins complexe. On pourra préférer les essais récents de trois autres spécialistes du genre que sont Milos Forman (Larry Flint), Oliver Stone (Alexandre) et Michael Mann (Ali). Ou non. Car Aviator est un magnifique produit de divertissement, avec une âme et du talent sur chaque parcelle de pellicule. Et il serait stupide de bouder un si beau spectacle, d’autant plus qu’aux côtés d’un DiCaprio une fois de plus convaincant (mais redoublant d’efforts pour durcir son éternel faciès d’adolescent), explose avec délice une sublime Cate Blanchett, formidable Katharine Hepburn.
Bonus
IMAGE ET SON Sortie grand luxe chez TF1 Vidéo, Aviator est disponible dans trois éditions plus ou moins opulentes (DVD simple, double Collector boîtier métallique ou trois DVD Super Collector limitée avec un livret de 64 pages, un avion miniature, deux photos dédicacées par Scorsese et Di Caprio, ainsi que le documentaire Howard Hugues l'aviateur, également disponible en DVD simple). Pour l'occasion, l'éditeur a mis les petits plats techniques dans les grands et ça se voit : le master est sublime, la compression parfaite et la photo rutilante de Robert Richardson se voit gâtée, tout au long des 2h40 que dure le film, par une colorimétrie et une gestion des contrastes au poil. Du travail d'orfèvre, complété par un Dolby Digital 5.1 explosif. Les perfectionnistes regretteront toutefois l'absence de piste DTS, sans doute justifiée par la durée du film.
BONUS La perfection n'est, on le sait, pas de ce monde. On se permettra cependant de rager qu'une édition DVD à ce point bichonnée pèse soudainement si peu lourd lorsqu'on se tourne vers ses bonus. Commençons par ce qui aurait dû être le plus gros morceau et qui nous faisait saliver à l'avance, à savoir le commentaire audio de Martin Scorsese, de la monteuse Thelma Schoonmaker et du producteur Michael Mann. Grosse affiche, à la hauteur de l'arnaque : montage sonore d'entretiens séparés, la mystification est sournoise et la pilule difficile à avaler. Si les courageux tenteront de faire le tri entre langue de bois et banalités d'usage (dont Mann se fait l'inattendu promoteur) pour dénicher quelques pépites éparses (notamment dans le discours, certes un brin emphatique, de Schoonmaker), les autres risquent fort de passer leur chemin.
Et d'émigrer dans les modules du deuxième DVD, dans l'espoir fou de faire la nique au banal et au convenu. D'avance, on leur souhaitera d'être opiniâtre. Car il faut en vouloir pour, dans le zapping de featurettes inoffensives sur les décors, costumes, maquillage, musique et effets spéciaux, ramasser méticuleusement les rares miettes de biscuit. Ici un crash de maquettes sous tous les angles, là quelques dessins préparatoires. Toujours ça de pris sur un court making-of à peine digne d'en porter le long.
Se tourner vers les interviews, conférence de presse et master-class ici compilées, permettra ensuite à l'amateur pas encore dégoûté de glaner dans ce défilé des vanités, entre vingt redites pesantes et trente sourires ultra-brite, quelques vagues éclaircissements sans grande nouveauté.
Ce sont finalement les fanas de Howard Hugues qui s'en tireront le mieux, à condition de ne pas être trop regardants. Deux documentaires sont en effet consacrés au cinéaste aviateur, auxquels le cinéphile pourra trouver, lui aussi, quelque profit à s'intéresser. En effet, les quelques images d'archives ci-dévoilées (parfois trucidées, malheureusement, par un montage à la serpette, notamment dans le module au ras des pâquerettes de History Channel) valent comme indicateurs du niveau de fidélité atteint par Scorsese dans sa reconstitution d'époque. Les extraits des audiences de la commission Brewster en sont le plus troublant exemple.
Sauvés par le Hugues, donc, les bonus d'Aviator ? Loin s'en faut: on est même tout près du crash. Voyez ainsi la pustule de cette deuxième galette hautement dispensable, en la personne d'une featurette sur les Troubles Obsessionnels Compulsifs (mieux connus sous le très médiatique acronyme TOC). C'est parti pour d'interminables et fâcheuses minutes de digressions voyeuristes autour de « l'infirmité » du réalisateur d'Hell's Angels, illustrées par les exemples d'autres malades contemporains, pour une sorte de Ca se discute trash sous couvert de bonnes intentions médicales. Ce détestable module tombé là on ne sait trop pourquoi, se voit complété tristement par un entretien croisé autour de cette pathologie entre Scorsese, Di Caprio, la veuve de Hugues et un psychiatre. Arrivé à stade, reste une chose intelligente à faire: rappeler que l'édition simple se suffit à elle-même et permet d'économiser cinq euros.
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Interactivité :
IMAGE ET SON Sortie grand luxe chez TF1 Vidéo, Aviator est disponible dans trois éditions plus ou moins opulentes (DVD simple, double Collector boîtier métallique ou trois DVD Super Collector limitée avec un livret de 64 pages, un avion miniature, deux photos dédicacées par Scorsese et Di Caprio, ainsi que le documentaire Howard Hugues l'aviateur, également disponible en DVD simple). Pour l'occasion, l'éditeur a mis les petits plats techniques dans les grands et ça se voit : le master est sublime, la compression parfaite et la photo rutilante de Robert Richardson se voit gâtée, tout au long des 2h40 que dure le film, par une colorimétrie et une gestion des contrastes au poil. Du travail d'orfèvre, complété par un Dolby Digital 5.1 explosif. Les perfectionnistes regretteront toutefois l'absence de piste DTS, sans doute justifiée par la durée du film.
BONUS La perfection n'est, on le sait, pas de ce monde. On se permettra cependant de rager qu'une édition DVD à ce point bichonnée pèse soudainement si peu lourd lorsqu'on se tourne vers ses bonus. Commençons par ce qui aurait dû être le plus gros morceau et qui nous faisait saliver à l'avance, à savoir le commentaire audio de Martin Scorsese, de la monteuse Thelma Schoonmaker et du producteur Michael Mann. Grosse affiche, à la hauteur de l'arnaque : montage sonore d'entretiens séparés, la mystification est sournoise et la pilule difficile à avaler. Si les courageux tenteront de faire le tri entre langue de bois et banalités d'usage (dont Mann se fait l'inattendu promoteur) pour dénicher quelques pépites éparses (notamment dans le discours, certes un brin emphatique, de Schoonmaker), les autres risquent fort de passer leur chemin.
Et d'émigrer dans les modules du deuxième DVD, dans l'espoir fou de faire la nique au banal et au convenu. D'avance, on leur souhaitera d'être opiniâtre. Car il faut en vouloir pour, dans le zapping de featurettes inoffensives sur les décors, costumes, maquillage, musique et effets spéciaux, ramasser méticuleusement les rares miettes de biscuit. Ici un crash de maquettes sous tous les angles, là quelques dessins préparatoires. Toujours ça de pris sur un court making-of à peine digne d'en porter le long.
Se tourner vers les interviews, conférence de presse et master-class ici compilées, permettra ensuite à l'amateur pas encore dégoûté de glaner dans ce défilé des vanités, entre vingt redites pesantes et trente sourires ultra-brite, quelques vagues éclaircissements sans grande nouveauté.
Ce sont finalement les fanas de Howard Hugues qui s'en tireront le mieux, à condition de ne pas être trop regardants. Deux documentaires sont en effet consacrés au cinéaste aviateur, auxquels le cinéphile pourra trouver, lui aussi, quelque profit à s'intéresser. En effet, les quelques images d'archives ci-dévoilées (parfois trucidées, malheureusement, par un montage à la serpette, notamment dans le module au ras des pâquerettes de History Channel) valent comme indicateurs du niveau de fidélité atteint par Scorsese dans sa reconstitution d'époque. Les extraits des audiences de la commission Brewster en sont le plus troublant exemple.
Sauvés par le Hugues, donc, les bonus d'Aviator ? Loin s'en faut: on est même tout près du crash. Voyez ainsi la pustule de cette deuxième galette hautement dispensable, en la personne d'une featurette sur les Troubles Obsessionnels Compulsifs (mieux connus sous le très médiatique acronyme TOC). C'est parti pour d'interminables et fâcheuses minutes de digressions voyeuristes autour de « l'infirmité » du réalisateur d'Hell's Angels, illustrées par les exemples d'autres malades contemporains, pour une sorte de Ca se discute trash sous couvert de bonnes intentions médicales. Ce détestable module tombé là on ne sait trop pourquoi, se voit complété tristement par un entretien croisé autour de cette pathologie entre Scorsese, Di Caprio, la veuve de Hugues et un psychiatre. Arrivé à stade, reste une chose intelligente à faire: rappeler que l'édition simple se suffit à elle-même et permet d'économiser cinq euros.