American Honey

American Honey
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American Honey
De Arnold Andrea
Éditeur : Diaphana
Zone 2
Nombre de disques : 1
Durée : 2h07
Sortie : 13/06/2017
Note du film : *****-

Star, une adolescente, quitte sa famille dysfonctionnelle et rejoint une équipe de vente d’abonnements de magazines, qui parcourt le midwest américain en faisant du porte à porte. Aussitôt à sa place parmi cette bande de jeunes, dont fait partie Jake, elle adopte rapidement leur style de vie, rythmé par des soirées arrosées, des petits méfaits et des histoires d’amour…

RED ROAD

La Britannique Andrea Arnold surprenait son monde il y a quatre ans avec son adaptation somptueuse des Hauts de Hurlevent. Par "somptueuse", n'entendez pas adaptation scolaire aux costumes qui en jettent. Arnold s'est emparée du classique littéraire pour en livrer une version à la fois fidèle et personnelle et ce par un moyen : la caméra. Revenue au monde contemporain avec son nouveau film, American Honey, Andrea Arnold livre pourtant un long métrage beaucoup plus proche stylistiquement de Hurlevent que d'un film narrativement plus "confortable" comme Fish Tank. Radical, American Honey va diviser, il est même conçu pour ça - et ce sont souvent ces films-là qu'on retient des mois après la clotûre d'un festival. American Honey, qui raconte le périple d'une jeune fille intégrant une improbable équipée de vendeurs de magazines, est tourné dans le même format "carré" que Hurlevent. Comme dans la transposition d'Emily Brontë, la caméra n'est pas là pour contempler avec complaisance les grands et beaux espaces, lande d'Heathcliffe et désert américain. Le format permet à la fois de se concentrer avant tout sur les personnages, leurs visages, leurs corps, la façon dont ils vibrent, et sur les détails autour - un sens du détail hypersensible qui, chez la cinéaste, n'est pas qu'une coquetterie.

Il y a dans American Honey un passionnant paradoxe qui saute aux yeux : on y traverse une Amérique éternelle, au décor quasi-mythique fait de gisements de pétrole, de cowboys, de vieux bar où l'on organise des danses alignées et où grésille de la country. Il y a pourtant quelque chose d'absolument contemporain dans le portrait proposé par la cinéaste. Cousins des spring breakers du film de Harmony Korine, les héros ici ne sont pas là que pour s'amuser pendant des congés scolaires. C'est de leur vie dont il est question: de liberté ou d'illusion de liberté, d'insouciance comme d'inquiétude et la cinéaste parvient à montrer essentiellement un simulacre de légèreté (on beugle, on écoute la musique à s'en crever les tympans, on joue avec sa bite) quand l'anxiété semble déborder, peser sur les têtes. "J'ai l'impression de baiser l'Amérique !", éructe l'héroïne - les choses sont en vérité beaucoup plus compliquées que cela.

On a rarement vu des jeunes gens racontés avec une telle profondeur et être autant livrés à eux-mêmes. On a pu en croiser dans un tout autre style et à une autre époque (révolue) chez Larry Clark. On en croise d'un tout autre milieu (et donc avec des enjeux assez différents) chez Sofia Coppola. Pas vraiment comme ceux-là. Leur voiture est lancée à toute allure et l'utopie qui palpite semble, sans qu'on ne le formule jamais, promise au mur. Aucune trace de cadre social, d'autorité politique pour épauler ces jeunes qui sillonnent pourtant le coeur du pays - sur une route qui paraît perdue. Arnold n'est pourtant jamais sentencieuse, jusqu'à la dernière scène comprise. Le décor n'est jamais enjolivé, notamment l'Amérique white trash avec ses baraques en désordre et le poste de télé laissé allumé sur un show de Wendy Williams. Comme dans ses précédents films, Andrea Arnold s'immerge et n'est pas dans la leçon scolaire. La beauté est partout, renversante, stupéfiante, mais elle est brute, sans maquillage. Et devant American Honey, on pense davantage aux travaux de certains photographes qu'à des cinéastes.

Cette puissance picturale va de pair avec un sens de la poésie qui ne quitte pas ce récit à la narration impressionniste. Une rencontre incongrue avec un ours ouvre une parenthèse magique dans le quotidien. Le film s'engouffre régulièrement dans de telles brèches suréelles... même pour raconter le scabreux, comme cette séquence absolument scotchante éclairée par de grandes flammes dans le désert. La poésie, c'est ce qui élève les héros d'Arnold dont le quotidien comme le hip-hop qu'ils consomment semblent à première vue dénués. Il y a une course absurde qui s'engage dans le road trip d'American Honey, à suivre des gamins qui parfois ont à peine 18 ans, en train d'essayer de refourguer des magazines qui pour eux sont comme des reliques, des anomalies anachroniques. On parlait plus haut du paradoxe entre l'Amérique éternelle et contemporaine - la greffe ne semble jamais prendre entre les deux. On avale les routes, on avale les jours, et l'on ne s'est même pas posé une question aussi simple que "C'est quoi, ton rêve ?". Une chanson, elle aussi nommée American Honey, est chantée à tue-tête par les gamins en voiture. Croient-ils à ce qu'ils chantent ? Ou à Rihanna qui à deux reprises dans le film leur glisse "We found love in a hopeless place" ?

par Nicolas Bardot

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