World Trade Center
États-Unis, 2006
De Oliver Stone
Scénario : Andrea Berloff
Avec : Maria Bello, Nicolas Cage, Stephen Dorff, Maggie Gyllenhaal, Michael Peña, Michael Shannon
Durée : 2h10
Sortie : 20/09/2006
11 septembre 2001. Sitôt l'alerte donnée, cinq policiers, dont McLoughlin et Jimeno, se rendent au World Trade Center et s'introduisent dans les tours jumelles. McLoughlin et Jimeno survivent par miracle à l'effondrement des gratte-ciel. Ils se retrouvent piégés sous plusieurs tonnes de béton, de charpentes métalliques tordues, de verre et de gravats...
ROLLING STONE
Alors qu’en 2005, l’Amérique connaît un renouveau dans le registre du film politique ou du moins politisé (The Constant Gardener, Syriana, Lord of War, Good Night, and Good Luck.), Paramount annonce la mise en chantier d’un projet sur les évènements du 11 septembre, inspiré de l’histoire vraie de Will Jimeno et John McLoughlin, deux agents portuaires qui se sont retrouvés coincés sous les décombres des tours effondrées. Mais le véritable scoop, c’est le nom du réalisateur chargé de la réalisation: Oliver Stone. On ne le présente plus, ce réalisateur réputé pour son point de vue corrosif envers son propre pays, et qui fut d’ailleurs l'un des premiers à s’exprimer sur le rôle des Etats-Unis dans les attentats, leur attribuant une part de responsabilité. Étonnant donc de constater que c’est lui qui a été choisi (ou qui a choisi) de porter à l’écran un récit ne permettant a priori absolument aucune digression à travers laquelle exprimer son opinion si personnelle. La question se posait alors immédiatement dans l’esprit de tous. Film de vendu ou témoignage sincère? Si World Trade Center n’est pas un film stonien par excellence, rivalisant avec les chefs d’œuvre du réalisateur, il n’est pas non plus une "histoire vraie" conventionnelle signée Hollywood. Le film commence et une chose est sûre: le Stone que l’on avait appris à connaître depuis son renouveau esthétique dans les années 90 semble absent du métrage. Depuis The Doors jusqu’à Alexandre, en passant par l’exemple le plus abouti du cinéaste (JFK), l’auteur nous avait habitués à de grandes fresques en plusieurs actes où la justesse de la mise en scène n’était égalée que par l’incroyable montage, osant les raccords interdits, les fautes et les erreurs, "images-cristal" et autres projections mentales au même titre que les œuvres dans leur ensemble, tout droit sorties de l’imagination nerveuse d’un formaliste enragé.
IT WAS A TUESDAY MORNING…
Cependant, si le film paraît dénué des obsessions thématiques et de cette imagerie bouillante si propres à leur auteur, il demeure un témoin du grand metteur en scène qu’est Oliver Stone. Soyons clair: ce film n’aurait pas la même gueule s’il avait été réalisé par Ron Howard. Rien n’est consensuel dans cette première heure durant laquelle Stone nous présente le réveil des protagonistes et de la ville (New York a rarement été aussi bien filmée, belle comme jamais), jusqu'à l'effondrement des deux tours, en passant par la reconstitution, tel un inéluctable crescendo, en donnant l’air de ne pas y toucher, vers le fatal retournement à mi-film. On se surprend à penser que l'on avait tout faux. On attendait un film conventionnel et donc décevant de la part de Stone, et l'on assiste à un exemple d'écriture et de mise en scène. Stone vient prouver qu’il n’est pas nécessaire de jouer l’épure totale pour atteindre un certain degré de réalisme et le résultat n’en est que plus poignant. La comparaison avec Vol 93 de Paul Greengrass est malheureusement inévitable. La caractérisation, sans choisir de ne présenter absolument personne comme chez Greengrass, est réduite au minimum et néanmoins si bien cernée que l'on se fait du souci pour les personnages, agents et femmes, dès le début du film. Pas besoin de trop en faire, tout le monde se rappelle encore les émotions qui l'ont traversé ce mardi 11 septembre 2001 et l’identification se fait automatiquement. Cependant, créer un semblant de suivi, plus soutenu que dans le distant Vol 93, ne nuit en rien à l’implication du spectateur. Pour ce qui est de la forme, Stone préfère une approche pour le moins naturaliste à l’esthétique documentaire ultra-réaliste de Greengrass (exploitant inévitablement le grain et le filmage à l’épaule), recréant une impression de lumière naturelle, pure, à l’écran, sans fard, sans ajouts. La photographie est léchée mais jamais lisse. Il ne s’agit pas non plus d’une reconstitution proprette sublimant le moindre acteur, le moindre décor.
LES DEUX TOURS
Quelques rares ralentis là où il faut et une utilisation intelligente des images d’archives, la mise en images de Stone est d’une habileté remarquable. Dans la bande-annonce, deux plans distincts (l’ombre d’un avion passant de manière menaçante sur les immeubles; une vue aérienne de l’île de Manhattan d’où s’étend un gigantesque nuage de fumée), superbes, posaient une question inhérente à l’art en soi. A-t-on le droit d’esthétiser un fait réel aussi tragique et encore ancré dans les mémoires, immortalisé par des images télévisées plus puissantes que tout? Au final, la question ne se pose même plus tant le tout est traité avec respect, sans emphase, de manière à néanmoins en extraire tout le pouvoir possible. "Une image vaut mille mots", dit-on très justement. A plusieurs reprises, la caméra filme le panorama new-yorkais et ses silhouettes de gratte-ciel par milliers se découpant sur l’azur avant qu’un lent travelling latéral vienne amener les deux tours, symboliques, dans le plan. Elles ont beau ne plus faire partie du paysage, on ne les a pas oubliées pour autant. On n’a pas le droit de les oublier. C’est ainsi que pendant près d’une heure, World Trade Center est d'une puissance rare. Les larmes aux yeux, on se tortille sur son siège, le coeur alourdi. Dans la recréation de l'évènement, Stone a concocté tout simplement la meilleure illustration d'un enfer bien trop réel. Finalement, sa mise en scène ici n’est pas si éloignée de ce qu’il faisait dans les années 80. Il ne joue pas avec les couleurs, le N&B, les types de pellicules et un montage frénétique, mais les images gardent toute leur puissance, toute leur force et le résultat n’est pas moins prenant qu’un Salvador ou un Platoon.
OUR MISSION ?
Peut-on reconnaître pour autant la patte de Stone à l’écran? Non. Dire le contraire serait mentir. Il va sans dire que le film présente un indéniable savoir-faire dans sa première heure mais Stone ne se l’est pas approprié comme il l’aurait fait ailleurs. En fait, la démarche de Stone sur ce film semble être de s'effacer, lui, la grande gueule, derrière les faits qui sont, après tout, ce qu'il recherche et valorise tant: la vérité. Sans surfaire l'héroïsme (à l'exception peut-être de la voix-off finale, et encore), il expose tout ce qui s'est passé. Il montre tout. Même le personnage évidemment limite (même si réel) de cet ex-Marine devenu comptable qui, en voyant les attentats, décide d’aller se faire raser le crâne et d’enfiler son vieil uniforme pour aller aider sur place. N'en déplaise à quelques imbéciles de la presse qui ne peuvent s'empêcher de glousser bêtement devant la moindre phrase qu'il dit. Contrairement à ce que certains peuvent croire, Stone nous montre ce Marine ni comme un surhomme ni comme un abruti mais comme il est. "Il est le seul protagoniste du film à donner une perspective à la catastrophe, indique Libération en se basant sur la dernière phrase du personnage, annonçant son intention de se réengager dans l’armée afin de "se venger". Si propos de Stone il y a dans ce personnage, c’est justement de montrer qu’un Marine halluciné (le choix et la direction d’acteur de Michael Shannon n’est pas innocent) a tellement foi en son "devoir", qu’il est à la fois capable du meilleur (ce qu'il a fait le 11 septembre) comme du pire (suivre aveuglément les ordres de l'armée de son pays contre l’Irak).
U-TURN
De toute façon, World Trade Center est tout sauf polémique. Il n'a pas vocation à l'être. On se moque de savoir pourquoi c'est arrivé. Le fait est que c’est arrivé et le film montre les choix de quelques personnes ce jour-là. Tout simplement. S’il y a un reproche à faire au film, c’est tout simplement la faiblesse de sa deuxième moitié. Alors que jusque-là on accompagnait dans la peur et la souffrance les protagonistes, alors même que le film exploitait sans mauvais goût la catastrophe pour raconter son histoire émouvante, alors même qu’il nous tenait en haleine malgré une structure en allers-retours passant des deux officiers coincés à leurs familles, peu à peu, à partir d’une heure de métrage, la tension retombe… Rien ne change dans la narration, mais les situations deviennent justement redondantes. Sans jamais sombrer dans l’ennui, sans devenir foncièrement mauvais, le film perd ce souffle qui parcourait l’heure précédente. Un ventre mou qui contracte les pectoraux dans les quinze dernières minutes et remonte la pente, mais qui est bel et bien là. Et c'est dommage. Jusque-là, c’était parfait. Peut-être aurait-il fallu enchaîner plus vite avec les évènements du dernier acte, à savoir le sauvetage, et raccourcir la durée du film pour en faire un témoignage compact, un concentré de force brute à l’image de la première heure. Ajoutez à cela quelques flashbacks trop classiques et une très furtive scène de rêve pour le moins déconcertante et la déception de cette deuxième heure est complète. On a frôlé le chef-d’œuvre.