Without
États-Unis, 2011
De Mark Jackson
Scénario : Mark Jackson
Avec : Joslyn Jensen
Photo : Jessica Dimmock
Durée : 1h27
Sortie : 14/11/2012
Sur une île isolée, Joslyn devient aide à domicile auprès d’un vieil homme en état végétatif. Seule avec lui, dans une grande maison, sans réseau téléphonique, ni accès à Internet, et traversant une douloureuse épreuve personnelle, elle oscille entre le réconfort qu’elle pourrait trouver en sa compagnie et l’étrange sensation de peur et de suspicion que lui inspire le vieil homme. Jour après jour, son quotidien solitaire la pousse à éprouver sa sexualité, la culpabilité et l’abandon, affranchie du regard de tous, ou presque.
ANAMORPHOSÉE
Certains films sont comme des puzzles, et ne révèlent réellement leur propos et leur ambition qu’une fois terminés, une fois assemblés. Il est par définition nécessaire de prendre du recul pour appréhender de telles œuvres reposant plus sur un principe de juxtaposition que sur le simple enchainement narratif de séquences. Without, premier long-métrage de l’américain Mark Jackson est de ces œuvres-là. La surprise est d’autant plus grande (et bonne !) qu’on croit au préalable savoir précisément à quoi s’attendre face à cette relation taiseuse (mais forcément pleine de sous-entendus) entre un vieil handicapé et sa jeune garde-malade, le tout dans une maison dans les bois qui les isole du reste du monde autant qu’elle les force à une promiscuité ambigüe. Or ce n’est même pas rendre justice à Jackson que de dire qu’il évite les clichés redoutés, c’est surtout qu'il traite in fine de tout autre chose que ce résumé ne laissait entendre. Clairement, les enjeux de Without sont très loin de ce qu’on s’imagine. Et tant mieux.
On croit à tort pouvoir étiqueter ce registre psychologisant et prédire le déroulement de ce récit mais le scénario enchaîne les fausses pistes avec une régularité des plus surprenantes, comme un Rubik’s Cube dont on tournerait mathématiquement chaque facette : soupçon fantastique, trouble érotique, onirisme, home invasion, maison hantée… L’enchainement presque conceptuel de ces diverses propositions produit un double effet. S’il parait d’abord frustrant que chacun de ces registres soit juste esquissé, presque abandonné sans avoir été approfondi (donnant ainsi l’impression trompeuse que le récit peine à trouver les rails sur lesquels démarrer enfin), c’est précisément voir Without à l’envers. Certaines scènes prises indépendamment restent un peu bancales mais trouvent leur justification dans un ensemble dont le mystère vaut bien plus que la simple addition de ses divers éléments.
Il faut en effet attendre un dénouement pour le moins inattendu (mais qui a le bon goût d’éviter tout coup de théâtre) pour enfin voir le film sous le bon angle. La figure de style adoptée par Jackson se rapproche alors de l’anamorphose, comme si une silhouette aux apparences difformes trouvait enfin sa logique dans l’angle d’observation longtemps cherché et enfin trouvé. Ce que l’on prenait pour une paresseuse dispersion apparait alors comme une habile mosaïque d’indices. Un cheminement pas posé là uniquement pour semer artificiellement le spectateur, mais au contraire pour coller à l’épaisse carapace affective de l’héroïne, qui se trouve au cœur des enjeux d’un finale aussi sobre que bouleversant. La performance de Joslyn Jensen, jusqu’ici plutôt en creux, devient alors particulièrement émouvante, justifiant ainsi sa flopée de prix d’interprétation. Loin de simplement se résumer à un film qui fait le malin en jouant les labyrinthes toc, Without témoigne d’une enthousiasmante audace narrative et d’une personnalité trop rare pour une première œuvre.