The Witch
États-Unis, 2015
De Robert Eggers
Scénario : Robert Eggers
Avec : Anya Taylor-Joy
Durée : 1h30
Sortie : 15/06/2016
1630, en Nouvelle-Angleterre. William et Katherine, un couple dévot, s’établit à la limite de la civilisation, menant une vie pieuse avec leurs cinq enfants et cultivant leur lopin de terre au milieu d’une étendue encore sauvage. La mystérieuse disparition de leur nouveau-né et la perte soudaine de leurs récoltes vont rapidement les amener à se dresser les uns contre les autres...
MA SORCIÈRE MAL-AIMÉE
Premier long métrage de l'Américain Robert Eggers (lire notre entretien), The Witch jouit d'un excellent buzz depuis sa présentation l'an passé au Festival de Sundance. C'est peu dire que cette réputation est méritée : il s'agit là d'un des meilleurs films d'horreur produits ces dernières années. The Witch s'ouvre par une scène dont le point de vue est incertain : quelqu'un est jugé, mais la caméra ne nous montre pas immédiatement qui. Ne comptez pas d'ailleurs sur celle-ci pour tout vous montrer (et sur nous pour tout vous dévoiler) : l'écriture comme la mise en scène d'Eggers empruntent davantage à l'horreur psychologique qu'à une horreur rollercoaster à sursauts. Le jeune cinéaste impose en tout cas une impressionnante maîtrise formelle en quelques plans : lorsque la famille part et s'enfonce dans la forêt, ou lorsque cette même famille se réunit autour d'un feu de bois, en pleine nuit – une splendeur qu'on pourrait accrocher dans un musée.
Mais The Witch n'est pas un objet glacé à mettre sous verre. C'est, malgré son apparence austère, un film qui palpite ; à l'écran les actions ne se bousculent pas mais on a pourtant l'impression, au bout des 90 minutes du long métrage, d'avoir remué ciel et terre. Au début de The Witch, l'héroïne s'amuse avec le nouveau-né de la famille. « Bouh! », et l'horreur n'est alors qu'un jeu d'enfant. Comme tous les grands films d'horreur, The Witch fonctionne à différents niveaux. C'est d'abord un conte horrifique au premier degré, sur la sorcellerie, alors que l'hystérie de la chasse aux sorcières ne s'est pas encore déclarée. L'utilisation de la musique, avec ces sonorités dissonantes et ces chœurs féminins possédés, est remarquable. Eggers se sert de la peur primale, archétypale, inspirée par les bois, et filme d'ailleurs les branches et les arbres déracinés comme des monstres.
C'est aussi, bien sûr, un film sur autre chose. Les enfants savent à peine parler qu'ils sont déjà travaillés par l'idée du péché à expier. Il faut à tout prix trouver la lumière dans les ténèbres. The Witch est un film puissant sur le fondamentalisme religieux, dont le propos est pertinent dans l'Amérique de 1630 comme dans celle d'aujourd'hui ou de ce côté-ci de l'Atlantique. Autre niveau d'analyse (celui d'une lecture méta), l'intégrisme religieux traité dans le film prend la forme d'une manipulation mentale qui pose les mêmes questions que le genre : quelle place pour l'hésitation fantastique ? Qui croire ? Que voit-on ? Selon quel point de vue ? Là aussi, comme les meilleurs cinéastes, Robert Eggers n'impose rien, perdra quelques spectateurs en route, mais gagne en trouble et en vertige. Il sait en tout cas parfaitement où il va.
Lors d'un dénouement proprement extraordinaire, dont la force, la folie et la poésie tordue rappellent celui d'un autre grand film de sorcière, Antichrist de Lars Von Trier, The Witch fait battre le cœur à tout rompre. Pas parce que ce qu'on voit est terrifiant – là n'est pas tellement le but – mais parce que le réalisateur installe une tension crescendo lors de scènes gonflées, à l'acrobatique direction d'acteurs. Le finale, dantesque, pourrait presque être vu comme une farce noirissime sur l'émancipation féminine. Le film est peut-être moins blagueur que ça, mais il constitue en tout cas une éblouissante révélation.