Watchmen: Les Gardiens
Watchmen
États-Unis, 2009
De Zack Snyder
Scénario : David Hayter, Alex Tse d'après l'oeuvre d'Alan Moore et Dave Gibbons
Avec : Malin Akerman, Billy Crudup, Matthew Goode, Jackie Earle Haley, Jeffrey Dean Morgan, Patrick Wilson
Photo : Larry Fong
Musique : Tyler Bates
Durée : 2h36
Sortie : 04/03/2009
Aventure à la fois complexe et mystérieuse sur plusieurs niveaux, Watchmen - Les Gardiens - se passe dans une Amérique alternative de 1985 où les super-héros font partie du quotidien et où l'Horloge de l'Apocalypse -symbole de la tension entre les Etats-Unis et l'Union Soviétique- indique en permanence minuit moins cinq. Lorsque l'un de ses anciens collègues est assassiné, Rorschach, un justicier masqué un peu à plat mais non moins déterminé, va découvrir un complot qui menace de tuer et de discréditer tous les super-héros du passé et du présent. Alors qu'il reprend contact avec son ancienne légion de justiciers, Rorschach entrevoit un complot inquiétant et de grande envergure lié à leur passé commun et qui aura des conséquences catastrophiques pour le futur. Leur mission est de protéger l'humanité... Mais qui veille sur ces gardiens ?
WHO WATCHES THE WATCHMEN ?
Dans l'ère actuelle de projets que l'on a longtemps cru irréalisables, on est de plus en plus amené à parler "d'arlésienne" concernant tous ces films que l'on n'attendait plus, des suites improbables aux remakes inespérés, en passant par toute une flopée d'adaptations estimées peu plausibles. A ce titre, le chef-d’œuvre d'Alan Moore et Dave Gibbons restait sans doute le matériau par excellence que la majorité des fans jugeaient inadaptable. Depuis la parution de la bande-dessinée en 1986, plusieurs producteurs et cinéastes s'y sont essayés. Tout d'abord, il y eut Terry Gilliam et son sempiternel chic pour les entreprises vouées aux problèmes. Même lui avait préféré ne pas s'aventurer dans ce bourbier. De la nouvelle génération, de jeunes auteurs plus ou moins confirmés tels que Darren Aronofsky et Paul Greengrass furent attachés au projet, le second ayant même failli le réaliser. Cependant, après nombre d’imprévus financiers, c'est finalement Zack Snyder, fort du succès de sa précédente adaptation, 300, qui obtint le feu vert de Warner Bros. pour porter à l'écran le roman graphique culte. Nombreuses furent les voix de la communauté geek à s'élever contre ce choix et vendons la mèche dès à présent, les griefs évoqués à l'encontre du metteur en scène seront certainement confirmés par le produit fini. Si Watchmen, tel qu'on le connaît, voit certes enfin le jour en tant que film, c'est au travers de l'interprétation qu'en fait son réalisateur. Tout ce qui fait la BD est encore là, mais revu et corrigé par Snyder. Et si l'approche du cinéaste n'est, comme prévu, pas des plus subtiles, l'ouvrage n'en demeure pas moins riche et peut-être aussi fascinant que sa source.
UNDER THE HOOD
Contrairement à ce que quelques critiques outre-Atlantique veulent bien faire croire, on ne saurait avoir la grandiloquence d'affirmer que certains des cinéastes qui émergeront dans 25 ans citeront Watchmen comme le film qui leur a donné envie de faire ce métier. Cela dit, le film s'avère tout de même assez particulier. Adaptant une mini-série de douze numéros déjà pas des plus conventionnelles, Snyder et ses scénaristes ne font aucune concession. Exception faite du léger développement apporté aux rares scènes "d'action" de l'ouvrage original (compromis au studio contre un budget de blockbuster), le metteur en scène ne transforme pas l'œuvre de Moore et Gibbons en grosse machine hollywoodienne typique. Ne serait-ce qu'au niveau de la structure, le scénario se permet de coller de près au chapitrage original dont il extrait plus ou moins trois actes. Le premier, exposant personnages et univers, se révèle pour le moins passionnant. Foisonnant de détails et distribuant les informations au spectateur à une allure effrénée, il retranscrit à l'écran la densité du matériau de base. Le second, s'attardant davantage sur ses protagonistes (tous servis par des performances convaincantes), est le plus posé, le plus mélancolique. Il s'imprègne de l'intrigue liant Dan & Laurie mais aussi du Dr. Manhattan sur Mars (la meilleure, la plus belle séquence du film). Le dernier tiers voit la convergence des intrigues vers le climax et c'est peut-être le plus précipité. Pourtant tout y est. Fidèlement rapporté. Snyder ose adopter un rythme différent, peu classique et se permet d'abandonner des personnages pendant près de 40 minutes dans une espèce de film choral de superhéros qui ne ressemble pas vraiment à ceux qui l'ont précédé. Le connaisseur sentira les coupes, ce qui peut s'avérer frustrant, et l'on devine d'ores et déjà une version plus aboutie encore dans le Director's Cut à venir, mais le travail effectué relève déjà de la gageure et marche mieux que l'on n'aurait su espérer.
THERE MUST BE SOME KIND OF WAY OUTTA HERE
En fait, la question d'adaptation posée par ce film diffère de celle que posaient Sin City et 300. Ces bandes-dessinées-là se caractérisaient davantage par leurs visuels que par leurs scénarios. Du coup, le fait de transposer les cases à l'écran s'avérait plutôt pertinent. La problématique de l'adaptation de Watchmen semble plutôt se situer au niveau des adaptations d'Harry Potter. Quelque part entre "adapter 300" et "adapter Harry Potter". Evidemment, Snyder reprend certaines images-clé de la BD pour en faire des plans, ou des scènes, mais il s'est également posé la question (avec David Hayter et Alex Tse, ses scénaristes) de savoir comment extraire de cette masse de richesses qu'est l'ouvrage de Moore l'essence de l'histoire. Pour tout ce qui est de la structure propre à l'œuvre sur papier, inimitable au cinéma, il a eu l'intelligence de ne pas tenter l'impossible. On ne peut reproduire à l'écran le chapitre "Fearful Symetry" qui voyait un numéro entier découpé de manière à ce que les séquences et les cases et parfois même leurs contenus soient symétriques de part et d'autre de la page centrale du numéro. Néanmoins, il a su trouver le moyen de traduire certains éléments de la page à l'image sans tomber dans le piège de la transposition littérale. Le néophyte sera peut-être un peu largué par moments mais l'équipe a réussi à conserver ce qui fait les personnages, les thèmes, et les questions que posent la BD, et à le condenser dans une forme filmique propre. C'est toujours Watchmen, il n'y a pas trahison. Snyder n'a pas "abêti" Moore. On notera même un dialogue rajouté dans le film où le personnage d'Ozymandias est accusé de "socialisme". L'auteur a compris l'ouvrage de Moore et se permet d'élaborer quelque peu sur certains fils de pensée. Ce n'est pas ce que pouvaient croire les sceptiques au vu des bandes-annonces, craignant que Snyder ait vulgairement appliqué sa manière de filmer 300 sur Watchmen, tant dans le fond que la forme.
SUPER-POWERS AND THE SUPERPOWERS
Interrogé concernant sa décision de ne pas situer l'action de nos jours (tout se passe dans un 1985 alternatif où l'Amérique a gagné la Guerre du Vietnam et Nixon a été réélu plusieurs fois), Snyder a dit vouloir éviter d'imposer au spectateur son point de vue sur la Guerre contre le Terrorisme, laissant ainsi au public la possibilité d'y voir une analogie ou non. Malgré cela, le film paraît avoir assez clairement choisi son camp. On ne pourra pas l'accuser d'être nazi comme pour 300. Moore et Gibbons avaient beau avoir accouché de leur bébé en pleine Guerre Froide, le propos reste non moins pertinent aujourd'hui. L'une des dernières répliques dénonce l'arrivée d'un "cow-boy à la Maison Blanche" et Nixon en prend pour son grade. La Guerre Froide a été remplacée par la Guerre contre le Terrorisme mais les blocs existent toujours et la menace d'un Holocauste nucléaire n'est pas une question passée. Le cinéaste s'efforce même de nous le rappeler en incluant à plusieurs reprises la silhouette du World Trade Center dans ses panoramas de New York et la fin s'en fait d'autant plus résonnante. Cela dit, le film reste évidemment ambigu concernant certains aboutissants de ce dénouement, à l'instar de la bande-dessinée. Libre à chacun, comme devant... un test de Rorschach, de s'accorder avec le point de vue de l'un ou de l'autre à l'issue du film. Qu'il s'agisse du nihilisme du Comédien ou l'absolutisme moral de Rorschach, le détachement du Dr. Manhattan, et l'équation posée par Ozymandias, etc. Le film propose la même déconstruction du mythe du superhéros en visitant les mêmes notions qu'évoque le rôle du vigilante, le justicier expéditif.
THE TIMES THEY ARE A-CHANGIN'
Esthétiquement parlant, ça reste 100% Snyder. Si l'on veut jouer franc jeu, on peut même dire que ça reste donc grossier. Lorsqu'il était élève à l’Art Center College of Design, les camarades de classe du cinéaste s'appelaient Michael Bay et Tarsem. Zack Snyder est de la même école. Il ne faut donc pas s'attendre à ce que la mise en image fasse preuve de sobriété. Cependant, l'auteur semble gagner en maturité à chaque film. Citons par exemple l'utilisation des ralentis. Dans L'Armée des morts, ils étaient assez fonctionnels. Dans 300, ils témoignaient d'une volonté d'explorer la gestion de l'espace et du temps au cours des scènes d'action. Dans Watchmen, Snyder les exploite au mieux afin de composer de véritables tableaux, continuant sur la lancée picturale de certains plans de son précédent film. Il est d'ailleurs dommage de voir qu'ici, lorsqu'il en fait usage sur les séquences d'action, ils s'avèrent plutôt superflus. Par contre, ils sont le plus appropriés lors de scènes qui se révèlent être les meilleures, celles où Snyder se réapproprie le matériau tout en l'adaptant fidèlement, les scènes qui témoignent le plus de la compréhension du matériau original par l'auteur. Il y a tout d'abord ce générique, classe et inventif, montrant l'évolution de l'univers tel qu'on le connaît, affecté par la présence de justiciers en costume, au rythme folk de Bob Dylan (générique qui n'est pas sans rappeler celui, déjà en rupture, de L'Armée des morts), et donc la séquence retraçant le passé du Dr. Manhattan, magnifique segment envoûté par une partition de Philip Glass. Deux morceaux de bravoure aux choix musicaux parlants. Une telle bande originale, constituée de classiques (Simon & Garfunkel, Jimi Hendrix, Mozart), pourra paraître lourd aux yeux de certains. Le film requiert du spectateur une adhésion au parti-pris certes pesant de Snyder mais qui, si la pilule passe, n'en est que plus poignant.
LOOK ON MY WORKS, YE MIGHTY, AND DESPAIR
C'est une interprétation véritablement iconique de Watchmen que fait Snyder, d'où l'utilisation de chansons aussi connues, mais il y a une intelligence derrière leur emploi. Si l'on exclut un choix douteux lors d'une scène d'amour (même si volontaire, le décalage reste incompréhensible), l'utilisation qui est faite de ces mêmes morceaux dont les paroles étaient citées dans la BD est concluante. C'est là aussi qu'il y a vraiment "adaptation". A ce niveau, le principal apport de Snyder est un pari formel vraiment intéressant. L'ouvrage de Moore et Gibbons proposait une étude sur un genre (les superhéros, les justiciers) et un medium (la BD). Quand Snyder "adapte" l'ouvrage pour le cinéma, les référents deviennent filmiques. Déjà le film s'inspire de Taxi Driver et Seven, pour le côté urbain poisseux, mais évoque également Blade Runner et Scarface par ses panoramas à dirigeables accompagnés d'une musique originale singeant les compositions '80s de Vangelis ou Giorgio Moroder. Mais c'est surtout dans le détail que l'approche de Snyder fait mouche. Ainsi, lorsqu'on est dans la salle de crise du gouvernement, c'est celle de Dr. Folamour. Lorsqu'on est au Vietnam, c'est le Vietnam d'Apocalypse Now. Une fois de plus, le choix d'accompagnement musical témoigne de l'intention même du metteur en scène : renvoyer à un "cliché" de la Guerre du Vietnam au cinéma en remplaçant les hélicos par Dr. Manhattan. Moore et Gibbons ancraient déjà leur récit dans une réalité politique (alternative), Snyder ancre le sien dans une réalité également artistique et culturelle. Le film étudie cette iconographie du superhéros en la confrontant à des référents visuels connus et reconnus (le Hibou version pop art par Warhol, Dr. Manhattan en plein Coppola, Nixon en plein Kubrick). Au même titre, lorsqu'un héros en costume a des tétons sur son uniforme, ça renvoie aux extravagances de Batman & Robin, comme pour symboliser la dérive du vigilante, avec en face un autre héros dont le costume renvoie au réalisme et à la rectitude de Batman Begins). Les choix font sens et attestent d'une authentique réflexion de la part du metteur en scène. Des choix cependant bien radicaux qui n’ont pas fini de diviser les fans. Cela ne fait aucun doute, Watchmen est un film pour un public averti, conscient du cinéaste derrière l’adaptation et prêt à se détacher de l’idée qu’il se faisait d’une adaptation de sa BD préférée.