Vierge de la luxure (La)
La Virgen de la lujuria
Espagne, 2004
De Arturo Ripstein
Scénario : Paz Alicia Garciadiego
Avec : Juan Diego Botto, Alberto Estrella, Luis Felipe Tovar, Ariadna Gil, Julian Pastor, Patricia Reyes Spindola
Durée : 2h19
Sortie : 17/03/2004
Ignacio Jurado, alias Le Mikado, est garçon de café Ofelia, à Mexico, dans les années 40. Un matin, il découvre derrière le bar, ivre morte, Lola, une prostituée espagnole légèrement déséquilibrée mais terriblement belle, dont il tombe éperdument amoureux. Mais Lola est amoureuse d’un catcheur et va se servir d’Ignacio pour tenter de le reconquérir. Pendant ce temps, l’intolérable dictature de Franco échauffe les esprits…
LES YEUX DE LA LUXURE ONT DES JOIES SECRETES
C’est une sensation d’absolue maîtrise, de toute-puissance, d’omniscience, presque. Une impression rare, de contrôle, d’entièreté. Et pourtant, sous le maillage parfait, dense, une légèreté qui se déploie, une liberté de ton, de forme; un tissu de digressions fourre-tout mais étonnamment harmonieux. Sans doute la marque des grands. A soixante ans, Arturo Ripstein nous livre avec La Vierge de la luxure une somme insolite, aboutie jusqu’à l’épuisement, où s’entremêlent références, hommages, envolées lyriques, délires potaches, ahurissante beauté plastique et branle-bas cinématographico-politique. Sur la base d’une histoire classique de fascination d’un homme faible pour une femme au charme vampirisant (de La Femme et le pantin au récent Un Cœur ailleurs), Ripstein bâtit un incroyable édifice foutraque, furieusement baroque, fait de savoureux zigzags formels et voletant au gré d’une trame joyeusement décomplexée. Dès l’ouverture, le cinéaste mexicain nous annonce ses velléités ludiques. Emphase typographique digne de L’Aurore, mise en scène volontairement outrée, force du décorum évoquant le David Lodge de La Comtesse de Castaglione: c’est à une bande-annonce criarde que nous convie Ripstein, ébauchant ainsi les constantes mises en abyme appelées à rythmer le récit. D’emblée, il faut donc perdre pied, accepter la folie d’un cinéaste nourri au sein bizarre du Buñuel barge période Fantôme de la liberté, et du Ruiz barré de La Chouette aveugle.
DU BORDEL ET DE LA SAGESSE
Bien sûr, et c’est la limite majeure de La Vierge de la luxure, ce vent fou de liberté ne va pas de soi. La gloutonnerie de Ripstein peut en effet agacer. Les constantes sautes de style et de niveau narratif, les incessants va-et-vient visuels, tantôt oniriques, tantôt crus, souvent parodiques, rendent parfois le film peu digeste. Mais c’est par ses personnages que Ripstein parvient à sauver le film de la tentation du collage vain. Aussi chargés que les décors, les protagonistes sont assumés comme des icônes, du patron de bar bouffi d’orgueil et cynique à l’indomptable madone pulpeuse, en passant par l’onaniste héros chétif, le catcheur mexicain bisexuel et les aspirants révolutionnaires braillards, qui rêvent de tuer Franco et poussent à l’occasion la chansonnette, transformant alors les lieux en scène d’opérette façon Offenbach. Alors, davantage que la sublime photographie d’Esteban Llaca et les innombrables renvois formels, c’est le talent de caricaturiste cinglant de Ripstein qui se fait jour, et donne une nouvelle cohérence au film dans le rire et la subversion. Et si cette manière d’y toucher sans en avoir l’air, d’oser la légèreté, la fantaisie et le foutoir pour parler gravement, et si c’était cela, paradoxalement, la sagesse?