Vie sans Brahim (La)

Vie sans Brahim (La)
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Vie sans Brahim (La)
France, 2003
De Laurent Chevallier
Scénario : Laurent Chevallier, Mostafa El Affi
Avec : Laurent Chevallier, Soran Ebrahim, Mostafa El Affi
Durée : 1h04
Sortie : 11/02/2004
Note FilmDeCulte : ****--

Soisy-sur-Ecole, Essonne, 1997. Laurent Chevallier initie des apprentis cinéastes à la pratique du documentaire, et trouve dans Brahim, ex-SDF alcoolique réinséré par la grâce et l’amitié de Mostafa, l’épicier du village, le sujet idéal. Seulement, une fois le tournage terminé, Mostafa s’oppose à la diffusion des images, pour la bonne raison que Brahim est également sans-papier. Mais lorsque cinq ans plus tard Brahim décède, Laurent Chevallier décide de revenir, caméra sur l’épaule, à Soisy, pour enfin achever son film.

IMAGINE SI BRAHIM S’EN VA

Il faut d’abord souligner le sentiment d’urgence. Trois mois après Rêves de France à Marseille, le documentaire français s’offre une nouvelle incursion sur les terres minées de l’immigration et de l’intégration. Les dispositifs sont différents: le film de Comolli et Samson s’attaquait de front, avec les armes brutes du journalisme, au monde de la politique, ses hypocrisies et ses frasques de girouette; celui de Chevallier est avant tout le témoignage d’une expérience humaine, où le politique ne se lit qu’en sous-texte, par-delà les personnages, sur des ressorts dramatiques de vraie-fausse fiction. Mais le constat final est le même, et il n’est en aucun cas positif. Le racisme insidieux de la ville et celui, larvé, des campagnes, sont finalement bien peu dissemblables. Dans les deux cas, sont pointés l’instrumentalisation de l’immigré, sa fonction kleenex, ainsi que le mépris et la frilosité avec lesquels il peut être traité. Et dans les deux cas, on assiste également à une démonstration touchante de sa richesse culturelle, de son apport potentiel et de l’absurdité de son rejet. Toutes choses qui se doivent bien évidemment d’être défendues, et qui valent à ces documentaires toute notre sympathie, et pas seulement de principe.

ET NOS RÊVES, QUI DONC LES BOIRA?

Dans ces conditions, qu’est-ce qui fait que malgré tout, on ne soit qu’à moitié convaincu par la pertinence de forme de ces deux œuvres pourtant justement engagées? Sans doute de ce que l’une comme l’autre ne fournisse pas les choix de cinéma adéquats à leur totale réussite. Leur mise en parallèle s’avère d’ailleurs d’autant plus révélatrice qu’on aurait presque tendance à dire que la méthode de l’un appliquée à l’autre et réciproquement aurait pu porter des fruits autrement plus juteux. En effet, si l’on reprochait à Comolli et Samson leur penchant par trop rigoureux à l’austérité, il est à l’inverse légitime de contester à Chevallier sa disposition par trop systématique à la sur-signification. La Vie sans Brahim pâtit en effet des excès inverses de Rêves de France à Marseille en ce qu’il se montre sans cesse conscient de la force dramatique de son sujet. Chevallier se sait et se fait savoir en possession d’un sujet en or, et surtout de personnages sublimes et directement caractérisés. Brahim, notamment, évoque autant le Sansa de Siegfried, pour sa vibrionnante liberté, que le Majid chanté par Loïc Lantoine, pour la bouteille ("Imagine si Majid s’en va / Et nos rêves / Qui donc les boira? […] On a tout regardé mon grand frère sans papiers / On a rêvé tous les mélanges / Je n’aurais jamais parié / Qu’un jour on t’dirait qu’tu déranges"). Plutôt que de se contenter de laisser vivre son histoire à l’écran, Chevallier l’encombre, entre autres effets de narration marqués, d’une voix-off inutile et redondante. Ce sont justement les ingrédients qui manquaient à Comolli et Samson pour rendre leur exploration de Marseille davantage accessible. Il n’y a plus qu’à espérer qu’un échange de bons procédés s’ensuive.

par Guillaume Massart

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