Une jeunesse chinoise
Yihe Yuan
Chine, République populaire de, 2006
De Lou Ye
Scénario : Mei Feng, Yingli Ma, Lou Ye
Avec : Hao Lei, Hu Ling, Zhang Xianmin, Guo Xiaodong
Durée : 2h20
Sortie : 18/04/2007
1989, en Chine. Yu Hong quitte son village pour étudier à Pékin et tombe amoureuse de Zhou Wei, étudiant comme elle. Leur passion naît à l’ombre de Tian An Men.
PALAIS D’ETE
On a découvert Lou Ye au bord de la rivière Suzhou, caméra au poing dans un Shanghai onirique où les histoires d’amour se conjuguent sur un air de Vertigo, chant des sirènes aux lancinants reflets dans une eau tourmentée par un fiévreux envoûtement. Une électricité urbaine qui gagne rapidement cette Jeunesse chinoise, après un prélude rural et engourdi, adieux presque muets, nuit dans l’herbe silencieuse et bouteille au goulot avant de goûter à une toute autre ivresse. Lou Ye conte le roman d’apprentissage de Yu Hong, jeune étudiante, et d’abord son amour déraisonné, béguin en apesanteur qui débute sur les premières notes enchanteresses d’une comptine rétro signée Paul Evans et qui se meut peu à peu en passion obsédante, une insatiable soif amoureuse que le réalisateur chinois capte miraculeusement. L’attraction sensuelle des deux amants, l’état lévitant de griserie enflammée font d’Une jeunesse chinoise un idéal de romantisme, sans glucose ni niaiserie mais transcendé par son lyrisme et sa justesse.
ON THE WAY DOWN FROM THE MOON PALACE
Son amour est "comme une ombre", écrit la jeune fille dans son carnet blessé. Qui la suit et la prive de lumière une fois la passion jetée à l’eau. Aliénant et ravageur, ce venin énamouré qui fait dire à l’héroïne (magnifique Hao Lei) qu’il vaut mieux rompre car elle ne pourra plus se passer de lui, étourdie mais bien consciente que les papillons dans le ventre ne sont qu’éphémères et que la passion poussée dans ses retranchements deviendra menaçante, destructrice, confondant douleur et exaltation en un même élan désorienté. Le récit s’assèche et l’heure suivante est plus amère, plus dure, litanie de portraits plus ou moins cassés, d’occasions plus ou moins ratées, perçant la bulle du couple exclusif pour s’éparpiller entre différents personnages et différents continents. L’apprentissage est aussi celui d’une souffrance que Lou Ye peint avec sensibilité, inconsolable ecchymose qui réclamerait bien quelques gifles pour s’échapper de ce mauvais songe, posant la tête à même le bitume là où hier l’herbe haute, celle d’un amour juste poli, adoucissait les dernières étreintes gauches et sans flamme.
JARDIN D’HIVER
Derrière la ritournelle intime se dissimule une plus grande histoire, fresque que Lou Ye déploie par delà les époques, mais où tout semble lié, comme l’envers et l’endroit d’un même temps. Les coups de reins et les actes révolutionnaires s’entrelacent en un même épris désir de liberté, véhicules enflammés ou grondement intérieur, la grande histoire comme la plus petite se passant régulièrement le relais, comme les images d’archives sont le prolongement de la reconstitution nerveuse du cinéaste chinois. De Tian An Men à la chute du mur de Berlin, Une jeunesse chinoise met d’abord en valeur ses individualités, avec la résignation douce amère du passé insaisissable, matin gris de retrouvailles au bord d’une autoroute qui ne pèse rien par rapport au lit trop petit d’une chambre d’étudiants au parfum entêtant, ou illusion d’un bonheur qui finit par-dessus la rambarde d’un immeuble endeuillé. Extrêmement ambitieux, le troisième long métrage de Lou Ye gagne pratiquement sur tous les tableaux. Mais plus encore lorsqu’il chuchote son refrain brûlant, fait de balade sans but, réminiscence déchirante d’un souvenir doré, irréel, celui d’un palais d’été, fragile et périssable, et à jamais perdu.