Un coeur ailleurs

Un coeur ailleurs
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Un coeur ailleurs
Il cuaro altrove
Italie, 2003
De Pupi Avati
Scénario : Pupi Avati
Avec : Giancarlo Giannini, Vanessa Incontrada, Anna Longhi, Neri Marcoré, Sandra Milo, Nino d'Angelo
Durée : 1h46
Sortie : 17/12/2003
Note FilmDeCulte : *****-

L’Italie des années 20, à Bologne. Nello, la trentaine bien entamée, cherche encore l’amour, au grand dam de ses parents. Hébergé dans une pension de famille, il ambitionne de perdre son pucelage, en vain. Jusqu’à ce qu’un jour, au hasard d’une visite dans un institut de non-voyants, il fait la connaissance d’Angela, sublime aveugle qui d’un coup embrase son cœur. Celle-ci, qui ne partage pas cette même passion, va se servir de Nello pour tenter de reconquérir son ancien amour…

L’AMOUR AU TRAVAIL

Ne pas se fier à l’affiche, au titre et au slogan de dernier film de Pupi Avati. Ne pas redouter une sucrerie acidulée, une grosse guimauve de comédie romantique propre à inonder une madeleine. Et, surtout, ne pas s’arrêter à la nationalité d’Un cœur ailleurs, au regard des dernières pelloches italiennes en date. Au contraire d’un Mimmo Calopresti ou d’un Gabriele Muccino, Pupi Avati accepte le constat d’échec de la contemporanéité. Mais préfère cependant au pointillisme historique de Marco Tullio Giordana la fable vaguement intemporelle, donc universelle. La base scénaristique est en effet des plus élémentaires: un vieux garçon tombe amoureux d’une jeune aveugle, qui ne l’aime pas mais a besoin de lui pour jouer le jeu de la jalousie. Conséquence logique: une fois la vue recouvrée, Angela se désintéresse de Nello. Tout ceci coule de source, semble cousu de fil blanc, et pourtant, à l’écran, rien n’est si simple. Alternant allégrement le comique de situation (Nello est passionné, gauche, maladroit et chante faux) et le drame pur, de premier degré, Un cœur ailleurs exploite son apparente simplicité à de plus complexes desseins, à savoir filmer l’amour au travail. Un défi de titan, maintes fois relevé, rarement accompli.

CE FUT COMME UNE APPARITION

C’est donc en toute logique qu’Avati hiérarchise ses priorités. Loin de lui l’ambition de reconstituer fidèlement l’Italie des années 20, dans une trame survoltée et virtuose dans la veine d’un Rappeneau. Sa caméra se soucie peu d’un quelconque gigantisme d’époque et préfère coller de près aux corps, ses véritables sujets d’étude. C’est l’humain dans tous ses états qui motive le cinéma d’Avati, de son état caricatural (la famille de Nello, ou l’homme à femmes qui partage sa chambre) jusqu’à ses failles les plus intimes (tout le passage à l’institut de non-voyants en est une parfaite illustration). Cinéma à hauteur d’homme, c’est avant tout au film de Nello que l’on assiste. Scène témoin et clef de cet état de fait, l’apparition à la Flaubert d’Angela fait office d’étalon. Dans un rai de lumière crue, le visage ombragé par les verres fumés d’une paire de lunettes, les mains caressant la pierre, Angela laisse Nello bouche bée, et nous avec. S’ensuit une jolie séquence hors du temps, toute d’ingénuité retenue, qui achève d’emporter notre adhésion. Avati se révèle ici en cinéaste de la beauté, sans pour autant viser à l’épate visuelle ou narrative. Quelque chose que l’on pourrait, si l’on osait, nommer pureté.

NO WOMAN NO CRY

Cette justesse dans la restitution de la subjectivité d’un amour naissant, on la retrouve dans l’évolution univoque des rapports Nello/Angela. En effet, Avati ne se fait jamais juge des agissements de l’un ou l’autre de ses personnages. Angela aurait pu apparaître cruelle et froide. Son cœur est simplement ailleurs: la blâmer pour cette faiblesse serait faire fausse route. Nello aurait pu sembler naïf, un peu bête. Il est juste un amoureux transi, certes pas dupe de sa condition, mais mené à son corps défendant par son irrépressible passion. C’est sur cette cohabitation peu évidente entre une absolue tendresse et une surprenante absence de mièvrerie que repose le talent rare d’Avati. A ce titre, la scène du dépucelage de Nello par Angela, faite de pudeur, de larmes et de douceur, figure parmi les plus belles scènes de ce film sensible et bouleversant comme une rupture. Et si la fin peut paraître entendue et prévisible - au point d’ailleurs où, paradoxalement, l’on ragerait qu’elle soit autre - son ultime contre-balancement comique achève de faire d’Un cœur ailleurs l’une des plus belles surprises de cette année 2003.

par Guillaume Massart

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