Trois mille ans à t'attendre

Trois mille ans à t'attendre
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Trois mille ans à t'attendre
3000 Years of Longing
États-Unis, 2022
De George Miller
Scénario : George Miller
Avec : Idris Elba, Tilda Swinton
Photo : John Seale
Musique : Junkie XL
Durée : 1h49
Sortie : 24/08/2022
Note FilmDeCulte : *****-
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Alithea Binnie, bien que satisfaite par sa vie, porte un regard sceptique sur le monde. Un jour, elle rencontre un génie qui lui propose d’exaucer trois vœux en échange de sa liberté. Mais Alithea est bien trop érudite pour ignorer que, dans les contes, les histoires de vœux se terminent mal. Il plaide alors sa cause en lui racontant son passé extraordinaire.

YOU GOTTA RUB ME THE RIGHT WAY

Passé les années 80, George Miller n'a jamais enchaîné les films, un minimum de quatre à cinq ayant toujours espacé ses réalisations. Sept ans séparent son dernier long métrage, l'illustre Mad Max Fury Road, de son dernier-né, le bien nommé Trois mille ans à t'attendre, presque le plus long écart entre deux de ses œuvres et pourtant, outre notre propre rapport relatif au temps, l'impact de Fury Road résonne encore si fort dans les mémoires qu'il semble être sorti hier. Après ce retour en force (qui n'en est pas un à part pour le personnage et la saga, le précédent Miller datant de 2011), le cinéaste était attendu au tournant et, alors que la continuation de la franchise s'annonçait (via un spin-off consacrée à la jeunesse de Furiosa), le réalisateur s'avère une fois de plus là où on ne l'attend pas avec ce qu'il qualifie lui-même comme "l'anti-Mad Max". Pour autant, cette adaptation d'une nouvelle parue en 1994 s'inscrit de manière tout à fait logique dans le corpus de l'auteur, témoignant une nouvelle fois de sa fascination pour le pouvoir des histoires et la nécessité de s'en raconter et explorant encore les rapports entre hommes et femmes et le désir qui les régit.

Dans Mad Max au delà du dôme du tonnerre (1985), une tribu d'enfants recréait son histoire et s'inventait une prophétie, à grands coups de peintures rupestres qu'ils regardaient à travers un cadre au format 2.35 fait de branches et de brindilles. Dans son documentaire 40, 000 Years of Dreaming (1997), essentiellement un montage d'extraits de films australiens, Miller évoquait notamment la tradition orale aborigène et le monomythe de Joseph Campbell. Avant la sortie de Mad Max Fury Road (2015), le cinéaste évoquait le film en utilisant une mythologie et un champ lexical de sa propre création, expliquant que le film était "basé sur les Burgers de Mots des Hommes d'Histoire". Ainsi l'auteur a-t-il étudié, depuis ses rudiments ancestraux jusque dans un imaginaire post-apocalyptique, la transmission des histoires et la façon qu'elles ont de forger notre inconscient collectif et notre identité. À titre d'exemple, on peut mentionner cette anecdote que Miller relate en interview, provenant de son passé en tant que médecin : chargé pour la première fois d'annoncer la mort d'un patient à sa famille, il ne savait comment s'y prendre et avait fini par reproduire un cérémonial vu maintes fois au cinéma et à la télévision, se contentant de secouer la tête de façon muette. Ou comment la fiction peut informer, voire dicter, notre comportement. Se voyant proposer trois vœux par un djinn, la narratologue campée par Tilda Swinton pense être immunisée face à cet appel de sirènes, bien consciente de la nature morale des contes et appréhensive d'une potentielle punition. Toutefois, cela revient à nier le pouvoir non pas d'un génie mais d'une bonne histoire, même aujourd'hui alors que la science nous a délesté de bien des croyances.

Dans Mad Max Fury Road, le héros n'avait que 52 répliques et l'action se substituait au langage, communiquant à sa place. Trois mille ans à t'attendre est aussi loquace que Max était mutique, le tour de force étant de réussir à invoquer l'épique du conte au sein de l'intime du conteur. Le récit s'étale sur 3000 ans d'Histoire en Orient tout en étant contenu dans une discussion d'une quarantaine de minutes dans une chambre d'hôtel. Miller ne se limite évidemment pas aux seuls mots et illustre ces histoires d'une une imagerie onirique parfois folle mais exploite tout autant l'improbable alchimie de deux comédiens dans une pièce. Dans Les Sorcières d'Eastwick (1987), Miller avait déjà recours à une trinité (de personnages féminins) et à une créature fantastique (en guise de personnage masculin) pour traiter de politique sexuelle, dressant le portrait d'une société patriarcale imposant l'inhibition tout en étudiant les mécanismes du désir entre hommes et femmes. Ce nouvel opus s'aventure sur le même terrain avec son trio d'histoires questionnant ce que la Femme désire plus que tout au monde. C'est toutefois dans son troisième acte inattendu, en décrochage par rapport à ce qui a précédé, que le film boucle la boucle. Dès les premières séquences, le découpage de Miller suggère qu'il est possible d'appliquer une lecture sémiologique à tout, par le biais de ce simple raccord entre un gros plan du train d'atterrissage d'un avion et les trois petites roues d'un chariot à bagages, et le discours même de la protagoniste souligne la qualité métaphorique des histoires. Nonobstant ses sérénades de guitare vivante et son génie électromagnétique, comme pour concilier science et myhte, Trois mille ans à t'attendre se résout somme toute à composer une touchante métaphore sur le couple, permettant à Miller d'évoquer une fois de plus l'erreur de la solitude et le refus de la place qu'on voudrait nous imposer.

par Robert Hospyan

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