Transformers
États-Unis, 2007
De Michael Bay
Scénario : Alex Kurtzman, Roberto Orci, John Rogers
Avec : Josh Duhamel, Kevin Dunn, Shia LaBeouf, John Turturro, Jon Voight
Durée : 2h24
Sortie : 25/07/2007
Une guerre sans merci oppose depuis des temps immémoriaux deux races de robots extraterrestres: les Autobots et les cruels Decepticons. Dans les premières années du XXIe siècle, le conflit s'étend à la Terre, et le jeune Sam Witwicky devient, à son insu, l'ultime espoir de l'humanité.
BEFORE TIME BEGAN, THERE WAS… THE CUBE.
"Je veux être ton nouveau Jerry Bruckheimer". Avec ces mots, Steven Spielberg a su séduire Michael Bay, réalisateur qu’il considère comme l’un des meilleurs en activité. Et sous la tutelle de Spielberg, Bay avait déjà parfait son art il y a deux ans avec The Island, son premier film de science-fiction et son œuvre la plus maîtrisée depuis Rock. Trois semaines à peine après la concrétisation de leur premier projet ensemble, Spielberg recontacte le cinéaste pour lui proposer Transformers. Dans un premier temps, Bay n’est guère intéressé par un "vulgaire film de jouets" mais le pitch que lui en fait son nouveau producteur-mentor ("l’histoire d’un garçon et de sa première voiture… qui se trouve être un robot extra-terrestre") convainc le réalisateur. Retrouvant ses scénaristes de The Island, tous deux désireux de faire un film comme ceux produits par Amblin (la boîte de Spielberg) dans les années 80, alliant univers fantastique et humour et ciblant les enfants et les adolescents, Bay s’attaque alors à l’adaptation d’un dessin animé passablement mauvais créé dans le seul but de vendre des figurines. La plus grande réussite de l’auteur est d’être parfaitement conscient de l’entreprise qu’il dirige. Michael Bay ne ment jamais sur son produit. Transformers ne prétend jamais être autre chose qu’un blockbuster estival avec des robots géants qui se foutent sur la gueule. Ainsi, le film gère-t-il à merveille l’équilibre entre les différents tons qu’il adopte. Sans jamais tomber dans la facilité du second degré, l’ouvrage fait preuve d’un certain recul tout le long, même lorsqu’il aborde ses scènes avec premier degré. Par ailleurs, Bay est parfaitement lucide non seulement par rapport à cette démarche mais également vis à vis de sa propre esthétique.
SERIE BAY
Dès le générique, la couleur est annoncée. Après les noms des studios Dreamworks et Paramount, c’est celui de la firme de jouets Hasbro qui apparaît à l’écran. On sait ce qu’on va voir. Résonne alors la narration presque agressive de Peter Cullen qui doublait déjà Optimus Prime, leader des robots, dans le dessin animé originel. Plus graves que la plus frontale des voix off de bande-annonce, le timbre et la diction de l’acteur se marient à l’exposition brute de décoffrage du background de l’histoire des Transformers pour donner le ton du métrage tout entier. Du coup, lorsqu’une demi-heure plus tard les robots débarquent et se mettent à balancer des phrases toutes faites avec leurs grosses voix, on n’est pas choqué. L’acceptation tient du saut de foi et Bay a su justement s’écarter du "vulgaire film de jouets" en optant plutôt pour le film d’invasion extra-terrestre avec des effets spéciaux photoréalistes comme rarement vus, tout en créant un univers assez riche et attrayant, notamment pour tout ce qui concerne l’implication du gouvernement américain. Cela dit, l'intrigue tient à un McGuffin presque littéral et le scénario n'est qu'un prétexte. Le film souffre d’un calibrage peut-être trop visible, cédant une grande place à l’humour, très probablement improvisé (Bay aime travailler de cette manière avec ses acteurs comiques, tels que Nicolas Cage, Will Smith ou Owen Wilson) mais parfois bas de plafond, trop infantile. La structure de film-catastrophe de la première partie se fait également quelque peu laborieuse. Cependant, le film affiche ouvertement la simplicité de son récit et son caractère décomplexé (la réplique "eBay" en est révélatrice).
BEAU COMME UN CAMION
A l’instar de The Island, on sent l’influence bienfaitrice de Spielberg sur certains aspects de l’histoire. En effet, Transformers évolue entre les sensibilités de son producteur (Sam, jeune héros un peu geek qui habite en banlieue, sa relation avec sa première voiture, etc.) et celle du réalisateur (le fétichisme de l’armée, l'iconographie magnifiante) qui a su, une fois de plus après leur précédente collaboration, exploiter au mieux son imagerie publicitaire, qui trouve par moments sa justification dans la narration (les flashbacks sur l'aïeul de Sam), même s'il se permet des écarts comme il sait si bien le faire dans des moments non-mythiques mais qu'il mythifie alors (l'amour naissant entre Sam et Mikaela). De son illustre modèle, Bay a également su reprendre le goût pour le merveilleux. A ce titre, la première découverte de Bumblebee sous sa forme robotique par le héros est là aussi très forte. Et ce n'est pas le seul moment de ce type... On retient doublement la scène de l’arrivée des Autobots sur Terre. Tout d’abord parce que l’on y retrouve le Bay qui croit dur comme fer au pouvoir de ses images, transcendant chaque plan pour en faire une icône, mesurant au mieux son montage pour créer une ascension, et au moment où la séquence semble avoir atteint son paroxysme, le compositeur envoie les chœurs, et les frissons du spectateur se transforment en larmes aux yeux. Mais on remarque également cette scène, au-delà de sa qualité et de sa force intrinsèque, par ce qu’elle signale de l’approche formelle de Bay sur ce film.
A BAY’S LIFE
Ça commence dès le départ, dès le premier des nombreux plans d’hélicoptère dont on sait Bay amateur (capable de monter 3-4 plans successifs sur les mêmes hélicos dans les airs). Ici, avant de s’adonner à cet excès, dans un premier temps il se mesure. Tout d’abord, il filme non pas l’engin en soi mais son ombre, menaçante, qui se meut comme un serpent sur les dunes, laissant alors sous-entendre qu’il s’agit d’un méchant Transformer (un Decepticon) car le public sait qu’il va voir un film avec des véhicules qui se transforment en robots. Bay joue avec les attentes du spectateur. Un peu plus tard, il monte en parallèle d'un côté les militaires qui se mettent à paniquer quand arrive un autre hélicoptère, non-identifié, et de l'autre côté, l’appareil en question qui progresse, presque lentement, en silence (excepté le son des pales, opressant) vers la base. Le crescendo est superbement assuré. Les deux premières scènes d'action alternent entre chaos (à la Armageddon, adoptant le point de vue des victimes surprises et perdues) et clarté soudaine (à la Pearl Harbor, adoptant un point de vue empirique, pour situer l'action, remettre l'échelle en place). Le résultat, très impressionnant, démontre que le cinéaste a tiré des leçons de chacun de ses films. Il recycle toujours des idées de ses films mineurs comme Bad Boys II (le travelling "manège" durant un gunfight entre deux pièces, la caméra qui passe durant une poursuite sous un véhicule sauf qu’ici il se transforme, etc.) mais surtout, il revisite son propre cinéma, sans se répéter. L’arrivée des Autobots précédemment mentionnée, citant littéralement Armageddon dans le texte, ne réitère pas la scène de destruction massive de la chute de météores de son prédécesseur - à laquelle elle fait évidemment référence -, pour mieux exploiter le montage alterné suivants les différents robots, absolument jouissif, et culminer avec le plan-stigmate du metteur en scène, ce lent travelling circulaire en contre-plongée sur ses personnages, ici étiré à l’extrême, qui vient ponctuer à la perfection cette séquence d’auto-citation.
DOMO ARIGATO, MR. ROBOTO
Refusant de réaliser Die Hard 4, Michael Bay semble ne pas vouloir faire et refaire tout le temps la même chose. Il n’est donc pas étonnant de constater que Transformers est le seul blockbuster de cet été à ne pas être une suite. Le film propose quelque chose d’encore jamais vu à l’écran et Bay s’y impose de ne jamais filmer deux scènes d'action de la même manière. Tout le long, il se renouvelle sans cesse. Par exemple, la rencontre entre Optimus Prime et le Decepticon nommé Bonecrusher, sur l'autoroute, utilise de furtifs ralentis qui viennent délibérément interrompre l'action sans casser le rythme, afin de mieux sublimer le face à face entre ces deux colosses de métal, dégageant alors une puissance filmique qui change de la quête absolue de l’énergie kinétique de ses précédents films, surdécoupés. Néanmoins, bien qu’il prouve avoir bien appris de ses leçons sur The Island, le réalisateur commet quelques erreurs. Plusieurs scènes paraissent filmées de manière un peu confuses, avec des plans bien trop proches de l’action, notamment des transformations, qui ne laissent pas l’œil du spectateur profiter de la dimension de la chose. Pourtant, il offre de nombreux cadeaux au public, par le biais de ces ralentis absolument jubilatoires, comme lorsqu’Optimus Prime et Megatron traversent un immeuble ou bien entendu lorsqu’Ironhide évite des missiles tout en ripostant, survolant une victime qui hurle alors de peur au premier plan. Avec ce genre de plan, on sent un Bay qui joue avec l’humour et la distanciation (incursion gratuite de la victime dans le plan) par rapport au procédé filmique derrière (ralenti outrancier pour sublimer l'action). On sent un Bay conscient de son cinéma.
WE ARE HERE. WE ARE WAITING.
Michael Bay a bien évolué depuis ses premiers films. Changeant une fois de plus de chef opérateur, il semble cependant avoir trouvé le ton juste, avec une photo très proche de celle de son précédent film mais davantage ancrée dans le réel (beaucoup moins de filtres qu'avant, même si on reste dans les mêmes tonalités chromatiques bayiennes). On aurait aimé cela dit que Transformers s’inscrive, sans délaisser totalement l’humour, dans un canevas plus mesuré au niveau du scénario. Si l’on ne s’ennuie jamais au cours des 2h24 du métrage, nombre de scènes comiques auraient pu être coupées, surtout lorsqu’il s’agit de donner la voix connotée d’un Afro-Américain à l’un des robots, Jazz, qui fait presque un mouvement de break dance en adoptant un jargon de jeune. Bien heureusement, les défauts du film tiennent souvent du détail alors que dans l’ensemble le film est une véritable réussite qui révèle une évolution continue du travail de son auteur et du regard qu’il porte sur son œuvre. A l’heure où il hésite encore entre une suite à Transformers, parrainée par Spielberg, et l’adaptation du jeu vidéo d’aventures Prince of Persia, produite par Bruckheimer, on espére qu’il persévère dans cette voie et qu’il ne refasse jamais de Pearl Harbor. Peut-être même qu’il choisira enfin de tourner Pain & Gain, cette comédie noire sans action qu’il traîne depuis maintenant plusieurs années et qui lui permettrait de consacrer au genre un film entier plutôt que de parasiter ses films d’action.