CPH:Dox : Tokyo Idols
Les groupes de filles et la musique pop imprègnent la vie japonaise. Tokyo Idols plonge au cœur d'un phénomène culturel caractérisé par l'obsession de la sexualité féminine et de la popularité sur Internet.
DIVINES
"Grandir au Japon en tant que femme a été une expérience déroutante pour moi. Ne pas être ou ne pas jouer à être mignonne était vu comme un signe de défiance", a confié la réalisatrice japonaise Kyoko Miyake lors d'une interview donnée à l'occasion de la présentation de son film à Sundance. Celui-ci, intitulé Tokyo Idols, s'intéresse au phénomène des idoles japonaises, plus particulièrement aux jeunes et adorables chanteuses de jpop, stars nationales ou simplement locales. Ce qui, à travers des yeux occidentaux, pourrait rapidement être vu comme une obsession exotique, bizarre voire crapoteuse de ces Japonais (qui, décidément, ne sont vraiment pas comme nous) est présenté de façon plus complexe par la réalisatrice, japonaise certes mais qui s'est éloignée du Japon. Dans la même interview, Miyake précise bien que "tous les éléments du film - l'objectification, les justifications, la nostalgie, l'intériorisation, les discriminations disproportionnées subies par les femmes en raison de leur âge, les hommes émasculés aux idées pourtant machistes etc - (...) sont juste magnifiés et portés vers une certaine extrémité au Japon, mais on peut les trouver partout".
Parmi les myriades d'idoles, Kyoko Miyake se concentre plus spécifiquement sur la jeune Rio Hiiragi, star en devenir dont la fanbase reste encore relativement modeste. Celle-ci entretient une relation qui peut paraître incongrue avec ses fans, un mélange de distance et d'intimité, et c'est cette connexion/déconnexion qui constitue l'un des sujets intéressants de Tokyo Idols. "Jamais je ne me suis autant passionné pour quelque chose dans ma vie" confie un fan, un adulte qui était plutôt du genre à écouter Bryan Adams en allant au boulot, et qui parle ici de la pop la plus sucrée du monde. Les séances de rencontres entre fans et idoles donnent lieu à des scènes qui peuvent surprendre: on salue respectueusement comme on se pencherait aux pieds d'une statue ou d'une déesse - alors qu'on parle parfois d'adolescentes, parfois même de fillettes. D'objectifiées, les filles deviennent déifiées comme lors des pharaoniques élections d'AKB48 (durant lesquelles sont élues les membres favorites de ce méga-groupe tentaculaire), où l'on semble désigner autant des chanteuses que des divinités.
On l'entend néanmoins dans le film: "la société ne s'arrêtera nulle part pour satisfaire les fantasmes les hommes et leur confort". Le film n'est pas dupe, mais offre un point de vue qui évite la caricature en mode "ces gens curieux et leur passion pour les collégiennes". L'exutoire de ces grands garçons, leurs danses et leurs chants de supporters, leurs cris et leurs larmes, ne sont finalement pas si éloignés de nos grands garçons à nous, bouleversés dans des stades de foot. La religion ici est tout autre et pas si éloignée - ce n'est pas le seul paradoxe que l'on observe dans ce documentaire nuancé.
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Tokyo Idols est présenté dans le cadre du Festival documentaire CPH:Dox de Copenhague.