Timbuktu
Mauritanie, 2014
De Abderrahmane Sissako
Scénario : Abderrahmane Sissako
Durée : 1h40
Sortie : 10/12/2014
Non loin de Tombouctou tombée sous le joug des extrémistes religieux, Kidane mène une vie simple et paisible dans les dunes, entouré de sa femme Satima, sa fille Toya et de Issan, son petit berger âgé de 12 ans. En ville, les habitants subissent, impuissants, le régime de terreur des djihadistes qui ont pris en otage leur foi. Fini la musique et les rires, les cigarettes et même le football… Les femmes sont devenues des ombres qui tentent de résister avec dignité. Des tribunaux improvisés rendent chaque jour leurs sentences absurdes et tragiques. Kidane et les siens semblent un temps épargnés par le chaos de Tombouctou. Mais leur destin bascule le jour où Kidane tue accidentellement Amadou le pêcheur qui s'en est pris à GPS, sa vache préférée. Il doit alors faire face aux nouvelles lois de ces occupants venus d’ailleurs…
LES TUEURS A LA PORTE
Lors de la conférence de presse du jury de ce 67e festival de Cannes, il a plusieurs fois été question de la distinction parfois délicate entre discours politique et geste artistique « pur ». Il y a de fait plusieurs manières d’aborder le nouveau long métrage d’Abderrahmane Sissako, premier film ouvrant la compétition cette année. Le discours politique est bien évidemment présent, dans ce récit de la prise du pouvoir d’une petite ville par un groupe de djihadistes, mais le réalisateur mauritanien réserve plus d’une surprise dans le traitement qu’il en fait. Il y a, comme souvent chez Sissako, un mélange de registres bien particulier. Une manière de passer parfois par l’humour et l’absurde pour raconter des choses très sombres. Timbuktu met côte-à-côte des détails quotidiens décalés (on y parle de foot, de rap, et on s’y fait traiter de connards par une illuminée aux poulets – l’équivalent mauritanien de la femme à la bûche?) et des éléments narratifs proches du mythe, avec leur lot de symboles parfois appuyés (la gazelle qui court jusqu’à s’épuiser, la vache de la discorde…). Le coup d’état des djihadiste en question ne dit pas immédiatement son nom, et prend d’abord les apparences d’un quotidien fait de torpeur où chaque rapport humain est simple, sans éclat de voix, même dans l’oppression ou la rebellion.
Mais Timbuktu n’est pas qu’un scénario illustré. Ce qui frappe en premier lieu, et plus encore que dans les précédents films de Sissako, c’est peut-être bien son sens pictural: les cadrages, les couleurs, un sens de la composition de l’image qui saute aux yeux. Tout cela est particulièrement mis en avant par la manière qu’à Sissako, passé un premier tiers plutôt volubile, d’envelopper chaque personnage d’un silence certain, qui leur confère certes dignité et sagesse mais qui en contrepartie fige souvent certaines scènes, au lieu de leur apporter de l’intensité. Le film perd alors momentanément de sa spontanéité et devient assez pesant. C’est quand le film « parle », c’est-à-dire qu’il montre enfin en face sa violence contenue le temps de quelques éclats de brutalité qu’il regagne paradoxalement en spontanéité, car les scènes en question participent pleinement à la mosaïque de registres de ce curieux film à la fois coloré et glaçant.