Panorama: Tiger Girl
Margarete suit une formation pour travailler dans la sécurité. Elle fait la connaissance de Tiger, qui va la prendre sous son aile.
JEUNES FILLES EN UNIFORME
Margarete et Tiger ne vivent pas dans un conte de fées : elles vivent dans le monde réel, celui où même dans une des plus grandes villes d'Europe, une fille peut se faire vraiment emmerder si elle traîne seule dans la rue au mauvais moment. Pourtant, Tiger Girl commence bel et bien comme un conte : deux jeunes filles, une blonde sage et une brune explosive, une rencontre fortuite et bam, les riffs de guitares et les couleurs fluos envahissent déjà l'écran pour une relecture pop et (gentiment) punk des archétypes du genre. D'apparence discrète, Margarete souhaite intégrer la police ou, à défaut, suivre une formation dans la sécurité – où elle est d'ailleurs la seule fille. Tiger, elle, a choisi de n'obéir qu'à ses propres lois: elle séjourne dans un squat, vit et couche avec deux mecs à la fois, et ne se laisse pas marcher sur les pieds - surtout pas par les hommes. Tiger déboule dans le monde de Margarete d'abord par un grand coup de latte, pour aussitôt disparaît dans un tunnel de métro... à moins qu'il ne s'agisse d'un trou de lapin?
Fascinée telle Alice, Margaret va entrer sans hésiter dans le monde de Tiger. A ses côtés, elle gagne en assurance et en audace. Comme une super-héroine, elle revêt même une nouvelle identité (elle se surnomme désormais "Vanilla the Killer") et un costume (son uniforme typiquement masculin de gardien de la paix). Les deux tigresses sont désormais lâchées dans Berlin, et les dragueur minables, les bagarreurs bourrés et les harceleurs de rue n'ont qu'à bien se tenir. Réappropriation des uniformes masculins, réappropriation du status quo sexistes (ici ce sont les mecs qui sont à poil sans raison et servent de toy-boys), et réappropriation d'un espace public citadin fait avant tout pour les mecs: le jeu de rôle est violent mais jubilatoire, et si les filles s'y font mal, ce n'est pas pour longtemps... Mais où est la limite du conte de fées pour ces deux filles incroyables qui rendent impunément chaque coup dans un grand éclat de rire contagieux ?
On avait adoré Love Steaks, précédent film (hélas inédit chez nous) du cinéaste allemand Jakob Lass, qui parlait déjà avec originalité de redistribution des rôles homme/femme. Lass a conservé cette thématique ainsi que la méthode de travail qu'il avait crée, le FOGMA, qui laisse beaucoup de place à l’imprévu (tous les dialogues ont été improvisés, donnant lieu à certaines scènes surprenantes). En dehors de ça, Tiger Girl ressemble à un curieux complément de Love Steaks, presque un reflet inversé. Le style naturaliste de ce dernier laisse place à une esthétique clinquante et ludique, où l'on se castagne au ralenti, comme si ces gamines s'imaginaient être dans un clip. Les deux films ont en commun de nous enjoindre à ne pas suivre les règles établies par autrui et à trouver sa propre identité. Or, après des débuts anarchistes, féministes et drôles, le scénario de Tiger Girl rentre étonnamment dans des clous, et se dénoue selon un schéma dramatique un brin convenu.
Là où Love Steaks partait d'un cadre rabattu (un garçon rencontre une fille) pour mieux prendre de court avec subtilité et progression, Tiger Girl explose dès sa première partie, et joue toutes ses cartes avec appétit dès la première manche. Cette pirouette gonflée peine à retomber sur ses pattes dans la deuxième partie (où l'attitude des personnages devient moins crédible), mais impressionne tout de même. Au-delà de l’irrésistible personnage de Tiger (avec son blouson en cuir et son attitude en titane, on dirait un fantasme lesbien sur pattes), le film fait preuve d'une générosité potache excitante.