Le Territoire des loups
The Grey
États-Unis, 2012
De Joe Carnahan
Scénario : Joe Carnahan, Ian Mackenzie Jeffers
Avec : Dermot Mulroney, Liam Neeson
Photo : Masanobu Takayanagi
Musique : Marc Streitenfeld
Durée : 1h57
Sortie : 29/02/2012
Comme beaucoup de ceux qui choisissent de vivre au fin fond de l’Alaska, John Ottway a quelque chose à fuir. De sa vie d’avant, il garde le souvenir d’une femme, une photo qu’il tient toujours contre lui, et beaucoup de regrets. Désormais, il travaille pour une compagnie pétrolière et protège les employés des forages contre les attaques des animaux sauvages. Lorsque le vol vers Anchorage qu’il prend avec ses collègues s’écrase dans l’immensité du Grand Nord, les rares survivants savent qu’ils n’ont que peu de chances de s’en sortir. Personne ne les trouvera et les loups les ont déjà repérés. Ottway est convaincu que le salut est dans le mouvement et que la forêt offrira un meilleur abri. Mais tous ses compagnons d’infortune ne sont pas de son avis et aux dangers que la nature impose, s’ajoutent les tensions et les erreurs des hommes. Éliminés par leurs blessures, le froid, les prédateurs ou leurs propres limites, les survivants vont mourir un à un. Ottway va tout faire pour survivre avec les derniers, mais quelle raison aurait-il de s’en sortir ? Le Territoire des loups nous entraîne aux confins du monde et d’un homme, à la découverte de ce qu’il y a en chacun de nous…
L'ENFER GRIS
Tortueux parcours que celui de Joe Carnahan. Apparu sur le devant de la scène avec le polar indépendant Narc, qui lui aura ouvert les portes d'Hollywood, donnant naissance à une flopée de projets jamais concrétisés (Mission : Impossible 3, Bunny Lake is Missing), certains qu'il se traîne encore (Killing Pablo, White Jazz), mais ne lui permettant jamais d'exploser. Ses deux autres films, Mise à prix et L'Agence tous risques, sont certes sympathiques, mais le premier se perd un peu dans ses délires trash à multi-personnages tandis que le second manque un peu d'ambition. Et les deux ne font pas état de la maturité qu'on était en droit d'espérer du cinéaste à ses débuts. Cependant, l'échec de son blockbuster au box-office était sans doute la meilleure chose qui pouvait lui arriver. Avec Le Territoire des loups, Carnahan retrouve tout ce qui faisait les qualités de Narc : un récit simple, noir, mature et réaliste, articulé principalement autour d'un seul protagoniste, introspectif, hanté. Ne vous fiez pas à l'affiche, à la bande-annonce ou au titre français. Liam Neeson a beau avoir caractérisé la seconde partie de sa carrière par une série de rôles de vieux baroudeur, nous ne sommes pas face à un "Taken avec des loups". L'image de l'acteur prêt à se tatanner contre des bêtes avec des mignonnettes brisées entre les doigts n'est pas du tout représentative du film. L'introduction étonnante donne le ton, portée par la voix off envoûtante du personnage, avec une photographie de la nuit qui rappellerait presque Drive, en plus réaliste. En effet, Carnahan renoue non seulement avec le fond mais également avec la forme de Narc, caméra à l'épaule et image granuleuse, choix d'autant plus efficace qu'il permet d'ancrer un récit de série B dans une certaine réalité malgré ses écarts de crédibilité (les loups du film ne se comportent pas comme des vrais loups mais après tout, le requin des Dents de la mer non plus).
La mise en scène de Carnahan est d'autant plus épatante qu'il change ici complètement de registre, abandonnant flics et agents gouvernementaux et décor urbain pour une bande d'ex-taulards ouvriers perdus dans les montagnes enneigées, enchaînant le spleen de l'exposition avec un crash aérien à glacer le sang, avant de donner carrément dans le film d'horreur par la suite. Le film redouble d'idées dans la manière de filmer les loups, alternant habilement images de synthèse et animatroniques (ou vrais loups?), et jouant souvent la suggestion, parfois de manière classique mais surnaturelle (les yeux dans le noir) et parfois de manière plus originale (la buée). Du point de vue du survival, le film est rondement mené. Malheureusement, c'est aussi par cet aspect-là qu'il pèche, notamment dans le deuxième acte, lorsque certains archétypes et stéréotypes du genre se font trop ressentir avec cette équipée composée d'un leader mystérieux, d'une forte tête qui cherche la merde, d'un petit rigolo et d'un croyant. Toutefois, on oubliera ces légers bémols pour saluer le travail effectué d'un point de vue thématique, sur la question de la foi justement. On craint un moment que l'ouvrage tombe éventuellement dans la bondieuserie rédemptoriste lourdingue tant le scénario semble s'acheminer vers un tel dénouement, notamment lors d'une scène-clé sur la fin, mais il n'en est rien. Au contraire. On n'ira pas jusqu'à dire qu'il s'agit d'un film athée mais le metteur en scène a l'intelligence de n'offrir aucune réponse, à l'inverse de bien des films à la thématique similaire. Et c'est là la véritable surprise et le gros atout de ce Territoire des loups, s'annonçant comme un simple film de survie badass et s'avérant en réalité une histoire humaine avec du cœur. A l'issue de la projection, la scène la plus mémorable ne comprend pas de loup mais le discours d'un homme essayant d'en calmer un autre, sur le point de mourir. Nous étions loin d'en attendre autant, du film et de Joe Carnahan, qui signe sans doute ici son meilleur film.