Festival Kinotayo: Tag
Unique rescapée d’une attaque surnaturelle qui a décimé tout son car scolaire, Mitsuko, lycéenne qui a la faculté de voir les morts prochaines, va tenter de sauver ses camarades d’école d’un assaut de fantômes maléfiques.
SONO A FOND
Cet été, lors du Festival Fantasia de Montréal (l'une des principales manifestations consacrées au cinéma de genre), Tag de Sono Sion a remporté le prix du meilleur film doublé d'une mention spéciale pour sa scène d'ouverture. Le moins que l'on puisse dire, c'est effectivement que celle-ci nous fait entrer de plain-pied dans la folie furieuse du nouveau film du stakhanoviste japonais. Cette peinture d'un bonheur gnangnan cache forcément quelque chose... et l'on saura rapidement quoi.
Tag pourrait n'être qu'une grosse farce. Ce ne serait pas péjoratif: cette farce-là, complètement déglinguée et ne connaissant aucune limite, prend la forme de la comédie la plus craquée et incroyable de l'année. Il y a quelque chose qui rappelle certains films d'Hitoshi Matsumoto ici (comme R100, malheureusement toujours inédit en France), dans ce cinéma clownesque qui saute dans le vide et ne se refuse rien, surtout pas la grandeur de l'absurde et de l'über-con régressif au fil de séquences proprement hallucinantes. Le mot est trop fort ? Jetez un œil à Tag et notamment à une scène de guerre tombée de Saturne, et on en reparle. Il y a chez Sono Sion cette absence de peur du ridicule qui fait les grands cinéastes. La comédie ici est portée par un imaginaire qui fulmine comme un feu d'artifice permanent et devant lequel on reste bouche bée. Plusieurs fois.
Mais Tag est aussi un film poétique. Débiloïde et poétique ? Ce genre d'association ne surprend plus chez ce touche-à-tout de Sono Sion. Il y a dans ce récit d'apprentissage, dans sa construction vertigineuse de rêve dans le rêve, de réalités enchevêtrées, une dimension surréaliste proprement poétique. C'est couillon, ça tache, ça crie ? Ça n'empêche pourtant pas de filmer l'innocence et sa perte, de capturer un sentiment de liberté en un très ample mouvement de caméra - et tout cela au premier degré. On ne sait pas avec quelle fluidité Sono Sion parvient à marier des registres aussi opposés (le grotesque rigolard côtoie le spleen mélancolique en un plan) mais cette habileté est rarissime au cinéma.
Tag est-il un train rutilant lancé à toute allure vers nulle part ? En l'état, l'expérience serait déjà totalement jubilatoire. Le film n'a pas de sens ? Pardonnez-nous, mais on voit à longueur d'année des films qui ont du sens (parfois du sur-sens), et qui n'ont d'ailleurs que ça à offrir. Pourtant, in fine, Tag raconte bel et bien quelque chose. Cold Fish interrogeait la virilité, Guilty of Romance la féminité. Tag est, comme d'autres films du cinéaste, au chevet des jeunes filles, transformées ici en marionnettes pour garçons. Dans toute son inconséquence apparente, le long métrage parvient à être plus féministe que bien des films façon Dossiers de l'écran.
Faire quelque chose d'imprévu peut, dit-on, tout changer dans une existence. Cette injonction est adressée à l'héroïne que l'on encourage à prendre son destin en main, elle s'applique également au cinéma de Sono Sion et à son besoin rageur de liberté. La reprise d'un des thèmes de Psychose sous-tend la folie qui guette ici et le monde dans lequel se débattent les héros de Sono Sion est aussi un monde de fous. Tag regorge de plans incroyables (de gerbes de sang constituées de plumes rouges à l'image saisissante d'une fille "coupée en deux"), et est une véritable usine à WTF. Qui d'autre, aujourd'hui, peut réussir une telle frénésie fun et bouffonne, aussi poétique et touchante, tout en ayant vraiment quelque chose à dire ?