Sur mes lèvres
France, 2001
De Jacques Audiard
Scénario : Jacques Audiard, Tonino Benacquista
Avec : Olivia Bonamy, Vincent Cassel, Emmanuelle Devos, Olivier Gourmet, Olivier Perrier
Photo : Matthieu Vadepied
Musique : Alexandre Desplat
Durée : 1h55
Sortie : 17/10/2001
Jacques Audiard est-il le Messie du cinéma français ? Est-il celui qui va venir nous délivrer des deux tendances envahissantes de notre bon cinéma hexagonal en ce début de XXIe siècle (j'ai nommé l'emprise du tout-visuel à la Kounen, Gans et Pitof, et la magie du verbe statique à la Rivette façon Va Savoir) On est en droit de se le demander au vu du talent et de la maîtrise dont témoigne ce Sur mes lèvres, film ambitieux qui ne parvient même pas à décevoir malgré le fait qu'il y a cinq ans qu'on l'attend (son dernier, Un héros très discret, remonte tout de même à 1996)
Audiard a une grande qualité qui manque à beaucoup trop des cinéastes de ce pays: il arrive à voir le grand en petit et le petit en grand. Cette simple histoire d'amitié/amour/association entre Carla la jeune sourde et Paul le taulard s'élève bien vite au-dessus de ses origines grâce à une écriture exigeante qui se déroule en un récit suffisamment ample pour nous emporter, et malgré tout proche de ses personnages, de leurs émotions, de leurs sensations mêmes (le son, sujet oblige, a bénéficié d'un traitement particulièrement éclatant). La mise en scène est également un des points marquants du film: l'image, aussi bien la photo que les mouvements de caméra, est la preuve d'une maîtrise simple et évidente de l'outil cinéma. Les caméra-épaules, les légers flous, les tremblotements...tout prend sens et magnifie cette histoire aux sentiments souvent évanescents et insaisissables.
La première partie, celle de l'entreprise, est étonnante de brio. L'écriture, le filmage, le jeu des acteurs... tout est au diapason du maître Audiard dans la description d'un monde féroce. Le deuxième volet du film est malheureusement plus décevant car moins bien rythmé et surtout plus caricatural (même si le personnage d'Olivier Gourmet est extrêmement complexe et touchant). Oscillant vers le film de genre, Audiard perd un peu de la force brute qui était la sienne lorsqu'il filmait notre simple quotidien. On pourra regretter aussi que la question de la surdité ne soit jamais abordée, le handicap de Carla étant avant tout un prétexte plus qu'une fin en soi (et en cela, le fait que sa capacité à lire sur les lèvres lui soit d'un grand secours vers la fin n'arrange pas les choses car il accentue l'artificialité de la chose).
Comme toujours, Vincent Cassel brille sous la moustache de Paul le malfrat, et Emmanuelle Devos trouve, grâce à Audiard, son premier vrai grand rôle. On connaissait déjà son talent, mais il nous éclate ici à la figure. Les séquences où elle se change devant son lit sont souvent magnifiques. Les deux acteurs principaux sont épaulés par un casting de seconds rôles tous impeccables, au sommet duquel trône le toujours excellent Olivier Gourmet.
C'est du bon cinéma que nous offre Audiard. Du bon cinéma bien écrit, bien joué, bien filmé. Du bon cinéma qui sait où trouver l'équilibre entre tension dramatique et étude psychologique, qualité de l'écriture et qualité de la mise en scène. Sur mes lèvres confirme que Jacques Audiard est un des talents les plus originaux à avoir émergé en France au cours des ces dernières années.