Sucker Punch

Sucker Punch
Envoyer à un ami Imprimer la page Accéder au forum Notez ce film
Sucker Punch
États-Unis, 2010
De Zack Snyder
Scénario : Zack Snyder
Avec : Emily Browning, Abbie Cornish, Vanessa Hudgens
Photo : Larry Fong
Musique : Tyler Bates, Marius De Vries
Sortie : 30/03/2011
Note FilmDeCulte : *****-
  • Sucker Punch
  • Sucker Punch
  • Sucker Punch
  • Sucker Punch
  • Sucker Punch
  • Sucker Punch
  • Sucker Punch
  • Sucker Punch
  • Sucker Punch
  • Sucker Punch
  • Sucker Punch
  • Sucker Punch
  • Sucker Punch
  • Sucker Punch

Dans les années 50, une petite fille, enfermée dans un asile psychiatrique par un beau-père tyrannique, s'évade d'un quotidien cauchemardesque en inventant un monde extraordinaire.

WE NEED TO GO DEEPER

Si on vous dit que Sucker Punch est le film le plus fin que Zack Snyder ait fait, nous croirez-vous? D'une densité insoupçonnable, le dernier opus du cinéaste surprend en se hissant au-delà du simple festival geek. Derrière le blockbuster fun mais creux que laissaient présager les bandes-annonces se cache en réalité un essai thématiquement et esthétiquement riche. Dès les premières images, le message est clair. Les rideaux s'ouvrent sur la scène où se joue le film et tout, même la réalité, y sera théâtralisée. Parce qu'il n'y a pas un, ni même deux, mais trois niveaux de réalité - et à peu près autant de niveaux de lecture - dans Sucker Punch. De prime abord, les différentes couches narratives du récit pourraient apparaître comme un simple prétexte à ce qui intéresse le plus ce bourrin que l'on adore ou que l'on déteste, à savoir les scènes d'action, mais en réalité, le film est beaucoup plus profond. Sucker Punch est le Inception de Snyder. Son Scott Pilgrim. Son Kill Bill. Une vraie lettre d'amour au cinéma et à la culture geek érigés non seulement en échappatoire nécessaire mais carrément en mode de vie. Plus que jamais, l'auteur nous donne ici sa vision du monde. Et à l'instar de Nolan, Wright ou Tarantino, son monde se voit magnifié au travers du prisme de sa culture. Tout comme un niveau onirique d'Inception pouvait renvoyer à James Bond ou qu'un des Evil Ex dans Scott Pilgrim était un super-héros ou que les sièges d'avion étaient dotés de range-sabres dans Kill Bill, Snyder revendique le droit de voir son monde comme un maëlstrom de références, ou plutôt d'iconographies. Du samouraï au robot en passant par les dragons, le cinéaste convoque tout un pan de la littérature de science-fiction ou d'heroic fantasy et l'imagerie du manga et du jeu vidéo et du film d'horreur dans un mélange à l'hétérogénéité complètement assumée, comme une ode à l'imagination.

NI PUTES NI SOUMISES

La diégèse de Sucker Punch se découpe en trois plans d'existence distincts : le monde "réel" et dégueu (l'asile, sa psychiatre, son infirmier), l'interprétation rêvée que s'en fait l'héroïne (le bordel, sa Madame, son pimp), et ses fantasmes de prise de pouvoir (LES TRANCHEES REMPLIES DE NAZIS ZOMBIES EN PLEIN PARIS STEAMPUNK AVEC DES ROBOTS OU L'ON SE BAT A COUP DE MITRAILLETTES ET DE SABRE pour n'en citer qu'un). A l'instar du Labyrinthe de Pan, également inspiré d'Alice au pays des merveilles, l'imagination intervient ici comme seul moyen d'évasion et de rédemption pour son héroïne, tourmentée par un âge de transition et emprisonnée dans une époque d'oppression. Ce n'est pas un hasard si, au-delà de ses trips anachroniques, le film se situe dans les années 60. Les protagonistes, des jeunes femmes portant presque toutes des surnoms affectifs à tendance péjorative (Baby Doll, Sweet Pea, Blondie), sont vues par Baby Doll comme des putes et vivent toute sous la coupelle d'hommes que l'héroïne voit comme des menaces sexuelles (un beau-père incestueux imaginé prêtre, un infirmier manipulateur imaginé proxénète, et le docteur qui doit lobotomiser Baby Doll devient dans sa tête un mec qui va la dépuceler). Et ce n'est pas un hasard si la technique adoptée par Baby Doll & Co pour arriver à ses fins consiste à détourner l'attention de leurs geôliers par le biais d'une danse lascive. Très habile, Snyder ne nous montrera jamais la danse. Il ne nous montre que ce que la danse déclenche dans l'esprit de Baby Doll, autrement dit les séquences d'action où nos héroïnes incarnent toutes des fantasmes masculins (l'écolière à jupe courte...avec un FLINGUE) en plein délire de mec geek (dirigeables, mechas et Cie). La femme est obligée d'user de sa sexualité pour vaincre l'homme. Oui, Sucker Punch est un film féministe. Entre autres.

YOU'VE GOT TO LET THE MUSIC

Avant toute chose, Sucker Punch est surtout le film-somme d'un auteur qui réalise ici son premier film original, qui ne soit pas adapté d'un matériau pré-existant, et c'est sans doute aussi ce qui rend l'œuvre aussi fragile. Snyder se met ici complètement à nu, exhibant, voire exorcisant, son esprit d'enfant cherchant à fuir la réalité en se réfugiant dans son univers iconique. Traversant les genres, incapable de s'enfermer dans un seul, du film de guerre à la comédie musicale. Ne pas évoquer l'importance de la musique dans le film serait criminel. Elle tient ici un rôle à part entière. Si déjà dans Watchmen Snyder jouait de manière pertinente sur la réutilisation de morceaux cultes pour iconiser ses scènes, ici il donne carrément dans la reprise - ou devrait-on dire, pour coller à la thématique générale, la réinterprétation - de tubes pour illustrer l'état d'esprit de Baby Doll, chaque chanson accompagnant une transition et se retrouvant également intégrée dans la BO. L'exploitation reste très grossière, à la Snyder quoi, mais on persiste à voir de l'intelligence dans son utilisation de la musique. Et parfois même, de l'émotion, comme dans la scène de Manhattan sur Mars réutilisant une composition de Phillip Glass dans Watchmen, ou ici lors du clip outrancier qui sert d'introduction au film, sur une reprise de "Sweet Dreams".On constatera par ailleurs qu'Inception, Scott Pilgrim et Kill Bill entretiennent eux aussi un rapport intime avec la musique/les chansons.

THE BADASS AMBASSADOR

Ne nous leurrons pas, une grande partie du plaisir procuré par Sucker Punch provient de son niveau de lecture le plus primaire, celui qui consiste à apprécier le spectacle offert par Snyder, formaliste de l'extrême, lors des scènes d'action. Force est de constater qu'il est difficile de citer un autre film parvenant à enfiler à la perfection autant de moments badass à la suite. Sucker Punch est le point culminant de ce qui a été entamé avec Matrix et Blade II au regard de la mise en scène inspirée de la japanime. Défouloir complètement fou où tout est permis, le visuel du film autorise la caméra à passer partout, à épouser chaque forme, à magnifier chaque action, et pourtant, alors que tout cet abattage d'éléments "cools" pourrait paraître forcé, et toute cette technologie numérique pourrait paraître désincarnée, le talent de metteur en scène de Snyder parvient à donner corps à tout ça avec une virtuosité comme on en voit rarement. Une fois de plus, le film ne va pas convaincre les réfractaires au style abusif du bonhomme, mais il faut voir le travail accompli ici. Il se renouvelle sans cesse, ne filmant pas une scène de la même manière que la précédente, optant pour une nouvelle approche pour chaque scène d'action. Les combats contre les samouraïs font preuve d'une réelle intelligence vis-à-vis du placement de la caméra au milieu de toutes les passes d'armes, sachant également toujours quand ralentir la vitesse pour mettre l'emphase sur le bon mouvement. La séquence dans les tranchées délaisse les ralentis pour de l'action brute jamais confuse où les combats au corps-à-corps ne se font plus par le biais de beaux tableaux iconiques qu'affectionne tant l'auteur. La scène dans le train contre les robots transcende les essais fabuleux de 300 avec à nouveau une excellente utilisation de l'alternance des vitesses et du plan-séquence.

THE END IS THE BEGINNING IS THE END

Le piège de cette structure alternant les niveaux de réalité, avec de grosses vignettes orgiaques, c'est que l'euphorie retombe à chaque fois que la danse s'arrête. Chaque retour dans le bordel se fait vraisemblablement plus long et du coup, le côté un peu fonctionnel de ces scènes, vu qu'il faut bien faire avancer l'intrigue, fait retomber la sauce. Le plus gros problème réside sans doute dans le dénouement. Sans le révéler, on dira que le dernier acte est très audacieux dans ses choix mais s'en retrouve du coup un peu moindre. Il aurait fallu terminer le film soit sur une dernière scène d'action de fou, soit sur une scène vraiment poignante. Thématiquement, et sur le papier, c'est assez fort et audacieux mais l'émotion n'est pas au rendez-vous. Le film passant trop de temps à s'éclater, tant dans l'action que dans son sous-texte, le gravitas nécessaire n'est qu'à moitié là. Plus déceptives que décevantes, ces dernières minutes s'inscrivent néanmoins directement dans le propos du film qui remet justement en question le véritable pouvoir des femmes dans ce genre de situation et s'avère à l'image du reste du film vraiment surprenant. Le véritable "sucker punch" (expression qui désigne un coup de poing mis en traître, par surprise) du film, c'est peut-être celui-là finalement. En effet, le titre apparaît comme un commentaire extra-diégétique sur l'oeuvre elle-même, qui ne va pas là où l'on attend forcément. Aboutissement d'un projet porté pendant bien longtemps et exacerbant un style entretenu sur plusieurs années, Sucker Punch marque sans nul doute une étape-clé, un tournant dans la carrière de Zack Snyder. Il sera très intéressant de voir où ira son cinéma à présent.

par Robert Hospyan

Commentaires

Partenaires