Struggle

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Struggle
Autriche, 2003
De Ruth Mader
Scénario : Barbara Albert, Martin Leidenfrost, Ruth Mader
Avec : Martin Brambach, Gottfried Breitfuß, Aleksandra Justa
Durée : 1h14
Sortie : 13/10/2004
Note FilmDeCulte : ****--
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Ewa, jeune mère polonaise sans le sou, part faire la cueillette des fraises en Autriche. Une fois le travail fait, elle s’échappe du groupe avec sa fille, espérant trouver du travail dans ce pays où elle est désormais clandestine.

RUTH ANDERSSON ?

On a du mal à la croire, mais il faut pourtant s’y résoudre: Ruth Mader ne connaît pas Roy Andersson. De cette confidence recueillie de la bouche même de la cinéaste au sortir d’une avant-première, on peut tirer deux conclusions: soit la réalisatrice joue à brouiller les pistes avec une habileté vicieuse, soit il est urgent de faire se rencontrer ces deux-là, de les marier et de prévoir moult thérapies pour le fiston. Figés, blafards, toute de perspectives acérées et fuyardes, l’œuvre dépressive d’Andersson et le souffle oppressif de Mader sont tellement frères qu’on aimerait crier à la gémellité. A la procession à ciel ouvert en plan large qui concluait Chansons du deuxième étage semble faire écho le rituel sillonné de la cueillette des fraises en cirés criards; au camion génocidaire de Monde de gloire semblent répondre les bétaillères d’immigrés de Struggle… Et ainsi de suite: nos sosies inconnus partagent sans le savoir un même sens du pathos, du grotesque (voir les scènes jumelles d’hôpital dans Struggle et Chansons…), un même constat d’incommunicabilité des êtres, un même sens esthétique du cadre fixe et de la juste durée d’une séquence. Mais la différence entre Andersson l’auteur et Mader l’aspirante, c’est que le premier n’en est plus à son coup d’essai, quand la seconde parvient d’entrée de jeu, dès son premier film, à atteindre cette radicalité formelle après laquelle Andersson a longuement couru avant de l’exprimer avec fracas dans son indétrônable chef-d’œuvre du Deuxième étage. Certes, Andersson, plus mûr, en échappant aux sirènes improbables d’un néo-néoréalisme sombre, en s’assumant en prophète illusionniste et apologue, en cinéaste donc, passe outre la tentation du formalisme pur à laquelle Mader cède par moments (on pense notamment à une scène d’orgie de chair triste fort dispensable). Reste toutefois que lorsqu’une telle maîtrise esthétique, une telle ambition politique, se manifestent et trouvent à s’exprimer conjointement au sein d’un premier film, on se permet encore d’être impressionnés.

par Guillaume Massart

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Présenté en sélection officielle à Cannes en 2003, Struggle arrive enfin sur nos écrans, avec seulement deux copies à Paris et six autres en province. Il existe pourtant un public pour ce cinéma, désireux de se frotter à ce type d’expériences filmiques exigeantes et, pourquoi pas, d’échanger à son sujet. Pour preuve, l’avant-première réalisée le lundi 11 octobre en présence de Ruth Mader au MK2 Beaubourg fut l’occasion pour les spectateurs de confronter leurs interprétations (parfois étonnamment pertinentes, comme entendu, susurré dans les rangs, cette singulière comparaison: "C’est un peu l’antithèse de La Vie est Belle"). Instants choisis des interventions de Mader:

Sur le financement "Ça a été très difficile de financier un tel film, avec ou sans dialogue [ndr: Struggle est un film très peu bavard]. C’est un premier film, sans vedettes, le scénario est austère. Le budget dont nous avons disposé était minuscule. Beaucoup de gens ont travaillé sans être payés, et sans eux le film n’aurait pas pu se faire […]." "Les chaînes de télévision allemandes que nous avons approchées nous ont demandé d’enlever les scènes de sexe. Il n’y a qu’à cette condition qu’elles acceptaient de le montrer, donc de l’acheter. J’ai évidemment refusé." "Le financement est finalement venu de la télévision autrichienne, qui n’a toujours pas diffusé le film. On s’attend à une diffusion nocturne. La télévision autrichienne ne se mêle pas du contenu lors du tournage, mais elle sanctionne à la diffusion en montrant les films à une heure où personne ne regarde."

Sur la portée politique du film "Nous avons tourné le film en 2002 mais cette situation existe toujours. Les gens continuent de venir de l’Est pour se vendre, ça n’a pas changé. Une scène comme celle du contrôle des inspecteurs du travail a bien sûr été réécrite, mais elle est basée sur des faits réels, des observations que j’ai faites sur le terrain. […] Il y a peu de place pour l’improvisation dans le film. Le scénario était très précis, régi par un storyboard, de manière à planifier chaque image. Le seul petit espace d’improvisation réside justement dans la scène des inspecteurs, notamment au niveau des dialogues. Mais elle n’en est que plus réaliste. […]" "Vendre sa force de travail, vendre son corps… Je voulais montrer que le personnage principal, Ewa, même si c’est une femme très forte, n’a pas vraiment d’autre choix dans ce système. Quant à sa liaison finale avec Marold, ce n’est pas vraiment de la prostitution: elle accepte de mener une relation pauvre pour avoir une vie plus riche économiquement. Mais c’est une logique de prostitution en ce sens où elle n’a pas le choix. Ces femmes qui émigrent, de l’Est ou d’Afrique, n’ont pas vraiment le choix. Ce n’est pas une question de volonté, c’est ça ou rien. […]" "Je ne prétends pas avoir de solution à offrir. Je dresse un état des lieux très douloureux du système et je me contente d’espérer provoquer des réactions émotionnelles chez le spectateur. Mais personne ne connaît la solution."

Sur le personnage de la petite fille "C’est un personnage très important parce qu’il permet de dédramatiser le film. Par exemple, pendant la scène de fuite, dans la forêt, la fillette rit, parce qu’elle ne comprend pas bien ce qui se passe. Elle renverse les attentes. On le voit aussi en ce qu’elle marque constamment sa différence avec la fille de Marold, qui elle est une enfant de l’Ouest, très sérieuse, très adulte et aussi très triste. Cette petite fille est le seul personnage qui soit toujours vivant. […]" "Bien sûr, on ne peut pas exclure qu’elle finira aussi par agir comme une adulte. C’est même très probable. Mais il est aussi possible qu’Ewa quitte Marold et trouve un salut ailleurs, ou que la fillette prenne son propre envol. […] La dernière scène laisse une place pour l’espoir. La fillette a l’avenir devant elle, elle ne sait pas, ou pas vraiment, ce qui se passe, et elle est la chance qui reste aux adultes pour changer."

Sur le choix des chansons de variété comme seule bande originale du film (Just the two of us, Everybody’s Talkin, et même le Fantasy de Earth Wind and Fire) "J’ai avant tout choisi ces musiques parce qu’elles me plaisent vraiment. Elles sont des promesses d’amour, de chance, etc. Elles promettent une belle vie. Lorsque les personnages écoutent cette musique, l’impression naît en eux que tout est possible: cet amour et cette chance qui d’habitude n’existent pas pour eux les concernent le temps d’une chanson."

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