Stories We Tell
Canada, 2012
De Sarah Polley
Scénario : Sarah Polley
Avec : Peter Evans, Alex Hatz, Rebecca Jenkins, Michael Polley, Sarah Polley
Durée : 1h48
Sortie : 27/03/2013
Sarah Polley a une famille (presque) normale… Et presque comme toutes les familles, la sienne cache un secret. Quand Sarah le découvre, alors qu'elle est déjà une actrice nominée aux Oscars et une réalisatrice reconnue, elle décide de se lancer à la recherche de la vérité. Mais quelle vérité ? Celle de ses parents, acteurs comme elle, celle de ses frères et sœurs, celle des amis d'antan ? Jouant les détectives avec une ironie et un naturel désarmants, elle va démêler sous nos yeux la pelote de toutes ces histoires qu'on raconte, et auxquelles on finit par croire. La légende familiale se construit alors sous nos yeux, entre faux-semblants et sincérité, humour et tendresse. A la frontière de plusieurs genres cinématographiques, tordant le cou aux clichés du documentaire et du cinéma vérité, cette œuvre inclassable et si personnelle mêle souvenirs et fiction, mystères et fausses pistes, mensonges et révélations. Bref, l'histoire d'une famille comme les autres !
MA MÈRE CETTE HÉROÏNE
Alors que les spectateurs français attendent toujours de voir en salles Take This Waltz, deuxième film de Sarah Polley en tant que réalisatrice - pourtant précédé d’une bonne réputation depuis sa présentation en festivals l’an dernier, mais toujours en attente de distributeur dans l’hexagone -, Eurozoom nous offre la possibilité de découvrir son troisième opus, dont la particularité est d’être un documentaire. Documentaire certes, mais largement autobiographique, puisque Polley y dissèque un événement de sa vie personnelle, qui lui est arrivé il y a quelques années seulement : la découverte que celui qui l’a élevée n’est pas son père biologique, avec toutes les répercussions que cela a pu avoir sur sa famille et sur ses proches. Malgré ce point de départ qui peut sembler affreusement égocentrique, Sarah Polley choisit justement une position d’humilité absolue par rapport à ça : elle ne s’imagine pas un instant que "son histoire peut intéresser des gens", et son ambition est clairement affichée, et elle est toute autre. C’est dans une démarche de questionnement esthétique et narratif qu’elle a souhaité construire son film, en s’attachant au principe selon lequel un même événement est vécu, mais surtout raconté, de façons radicalement différentes selon les points de vue des protagonistes de l’histoire. Les mêmes faits sont interprétés de plusieurs façons, les paroles rapportées d’une même conversation sont embellies, simplifiés ou tronquées, et il y a, finalement, plusieurs vérités qui coexistent.
Et effectivement, cette construction fonctionne et c’est par ça que le film nous accroche. Néanmoins, malgré ce refus de penser que sa propre histoire et sa propre famille pourraient être captivantes, c’est petit à petit un véritable attachement qui se développe de la part du spectateur vis-à-vis de ces personnages bien réels. En particulier, la figure de la mère, cette mère disparue, et pourtant pleine de vie, qui fascine, éblouit, étourdit, est particulièrement émouvante, et sa présence est parfois assez bouleversante, notamment dans les yeux des personnes qui l’ont aimée. L’émotion de ses enfants (les frères et sœurs de Sarah Polley, donc) quand ils parlent d’elle est particulièrement touchante, chacun ayant son propre point de trouble (dans un cas, le fait qu’elle n’ait pas pu protéger ses enfants d’un premier mariage, qui lui ont été retirés et qui ont été maltraités ; dans un autre cas, c’est tout simplement le fait qu’elle ait finalement trouvé l’amour). Chaque personne dévoile, dans son rapport à cette mère, et à l’histoire de la naissance de Sarah Polley, son propre processus de construction en tant qu’individu, et ses propres failles. Cette plongée dans l’intime, qui se fait tout en douceur, sans qu’on s’en aperçoive vraiment, concentrés que l’on est sur la construction brillante du film, finit par renvoyer un miroir subtil au spectateur, le plus ancien, le plus classique, celui de l’identification, mais ici déposé avec une finesse qu’on ne rencontre pas si souvent. "Et moi, comment réagirais-je ?"
Certes, Stories We Tell est un documentaire, mais pas tout à fait, car Sarah Polley joue aussi sur de vrais passages de mise en scène, qu’on pourrait presque appeler "reconstitutions", et dont l’apparition peut se révéler troublante, au moment où l’on comprend qu’il s’agit d’acteurs interprétant les personnes réelles que l’on voit s’exprimer. La réalisatrice s'est manifestement laissée guider par son propre projet, partant d'un point de départ très trivial (l'envie de prendre la main sur le récit de ses origines, avant que son père biologique ne dévoile lui-même toute l'affaire), et évoluant vers quelque chose d'intellectuellement plus construit. Mais l'intime ne peut jamais être totalement expulsé d'une telle démarche - et c'est tant mieux. Par ce mélange esthétique, affectant de faire tout cela au hasard, Sarah Polley propose une véritable œuvre qui est à la fois une exploration des mythes (au sens étymologique du terme) familiaux, un questionnement sur la fiction, et, bien sûr, une ode poignante à sa mère.