Stoker

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Stoker
États-Unis, 2011
De Chan-Wook Park
Scénario : Wentworth Miller
Avec : Matthew Goode, Nicole Kidman, Dermot Mulroney, Mia Wasikowska, Jacki Weaver
Photo : Chung-hoon Chung
Musique : Philip Glass
Sortie : 01/05/2013
Note FilmDeCulte : *****-
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Après la mort de son père dans un étrange accident de voiture, India, une adolescente, voit un oncle dont elle ignorait l’existence, venir s’installer avec elle et sa mère. Rapidement, la jeune fille se met à soupçonner l’homme d’avoir d’autres motivations que celle de les aider. La méfiance s’installe, mais l’attirance aussi…

L'ANTRE DE LA FOLIE

Alors qu’on parle beaucoup ces temps-ci de famille ou de parents « normaux », Park Chan-Wook rappelle (si besoin) que de telles choses n’existent généralement pas. On n’en attendait pas moins d’un réalisateur chez qui tout rapport humain semble absurde, guignol et/ou impossible. Qu’il s’agisse du triste jeu de massacre de Sympathy for Mr Vengeance ou du finale tragiquement ironique de OldBoy, le rapport à l’autre est toujours problématique. Dans Thirst, les amants se retrouvent mais le film parle avant tout d’une impossibilité d’être heureux ensemble. Derrière sa forme baroque et biscornue, ses ruptures de ton, ses glissements du pathétique premier degré aux gags scato, Thirst ne parle finalement que de ça. Et ses personnages peuvent bien continuer à s’agiter. Comment la noirceur du cinéaste coréen allait s’accorder avec ce premier projet américain ?

Il y a un Kamoulox à la base de Stoker : Park adaptant un scénario de l’acteur de Prison Break et dirigeant une star habituée aux projets aventureux (Kidman). La bizarrerie des ingrédients n’est rien comparée à l’étrangeté du long métrage. Lorsque, en début de film, Park raconte un accident de voiture mortel, celui-ci est invisible à l’image et pourtant il est saisissant. Le carambolage est résumé en un plan de corps qui se précipitent dans un salon, tandis que des bruits de tôle se font entendre. Le collage entre le son (celui de l’accident) et l’image (saisie après l’accident, décadrée et coupant les têtes des acteurs) désarçonne en même temps qu’il raconte précisément ce qui se passe. C’est ainsi que marche Stoker : on a ici le sentiment qu’un cinéaste s’est demandé, derrière le moindre de ses plans, comment raconter son histoire autrement (ce qui est le moindre des efforts pour un film sur l'altérité). Comment surprendre et comment rentrer au plus profond des choses, viscéralement. Lorsque Park filme India (Mia Wasikowska) en train de peindre, celle-ci ne peint pas comme les autres. Quand les autres voient des fleurs, India voit les motifs à l’intérieur du vase. Ce n’est pas voir autrement simplement pour voir autrement, filmer autrement simplement pour prendre la pose. C’est un point de vue sur les choses, sur les personnages, sur une histoire, qui est celui de l’étrangeté, malade et toxique, car telle est la famille selon Park Chan-Wook dans Stoker. « Tu crois que c’est vide ? Regarde encore », entend-on au détour d’un dialogue.

Du strict point de vue du thriller (l’une des nombreuses couches de ce mille-feuille de genres), la bizarrerie permet de tout envisager. Le moindre plan sur un morceau de viande laisse penser que celle-ci pourrait être empoisonnée. Une mélodie au piano peut être une intense scène de baise. Les images se superposent, se marchent dessus, entrechocs et analogies, une brosse dans des cheveux qui se transforment en hautes herbes. Le point de départ de Stoker rappelle celui de L’Ombre d’un doute d’Hitchcock, avec l’irruption de cet oncle inquiétant et la fascination exercée sur sa nièce. Park reprend à son compte la « mission de destruction » dont Hitchcock parlait au sujet du personnage de Joseph Cotten. Mais celle-ci ne se limite pas, dans Stoker, au personnage interprété par Matthew Goode et sa gueule de Pierrot la lune. Il y a une dimension ludique, un humour qui ici participe au décalage. L’interprétation va dans ce sens, différents registres cohabitent dans la même scène, Kidman (sur)jouant ici une minaudeuse de cartoon et embrayant au premier degré le plan d’après. Cet équilibre instable est à la fois réjouissant (parce que le film surprend tout le temps, ne baisse jamais la garde) tout en étant dans le nerf de son propos.

Dans un rôle de Wednesday Addams, Mia Wasikowska est l’héroïne d’un drôle de roman d’apprentissage. Décalée, peut-être la seule à ne pas jouer sur la rupture de tons. Face à elle, Nicole Kidman interprète un rôle kidmanien en diable de mère cassée dont un monologue sublime résume à lui seul l’un des pans obsessionnels de sa filmographie. Personnage en retrait, cette mère ivre morte et veuve joyeuse échappée d’un Southern Gothic caractérise bien le grotesque de Stoker, sa folie nichée dans des images glamour, des lumières ultra-léchées. En fin de film, un plan court, au ralenti, sur le dos de Kidman qui vient de voir ce qu’elle ne devait pas voir, marie à la fois ce désir glamour et, en un œil possédé, la folie qui palpite. A la télévision, lors d’un doc animalier, on parle de la patience insensée des prédateurs. Plus tard, une discussion s’engage sur l’époque victorienne où l’on faisait le deuil du mari défunt pendant deux longues années. Mais la folie chez Park comme dans Stoker est bel et bien humaine, et appartient au présent (même si le film pourrait se passer à différentes époques). Voilà du cinéma gonflé, généreux, libre et qui bande de la première à la dernière seconde.

par Nicolas Bardot

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