Star Wars : Les Derniers Jedi
Star Wars: The Last Jedi
États-Unis, 2017
De Rian Johnson
Scénario : Rian Johnson
Avec : John Boyega, Benicio Del Toro, Mark Hamill, Oscar Isaac, Daisy Ridley
Photo : Steve Yedlin
Musique : John Williams
Durée : 2h30
Sortie : 13/12/2017
Les héros du Réveil de la force rejoignent les figures légendaires de la galaxie dans une aventure épique qui révèle des secrets ancestraux sur la Force et entraîne de surprenantes révélations sur le passé…
AU FOND DE COULOIR, UNE PORTE ENTROUVERTE
Il y a de cela maintenant plusieurs mois, un site rapportait le commentaire d'une personne travaillant sur le film : "Vous vous rappelez la scène de la forêt dans L'Empire contre-attaque? Tout le film est comme ça." De toutes les données relatives à ce huitième épisode de la saga (et neuvième film, en comptant Rogue One), c'était probablement l'information la plus intrigante. Vu son profil, l’embauche de Rian Johnson était déjà excitante. À l’inverse de J.J. Abrams, Gareth Edwards, Lord & Miller, Colin Trevorrow et même Josh Trank, Johnson était le seul à ne jamais avoir réalisé un film pour plus de 30 millions de dollars. Et contrairement à tous les autres, c'est le seul qui aura écrit son épisode en solo et qui ne se sera pas clashé avec Kathleen Kennedy. Mais donc Star Wars par Rian Johnson, ça ressemble à quoi? Contrairement à ce que l'on a pu lire dans certains des tweets suivant la première américaine, ça ressemble à un Star Wars. Il ne faut pas se mentir non plus, que ce soit dans les mécaniques de certaines trames, dans les inévitables parallèles avec la trilogie originale, ou tout simplement dans la charte visuelle, on est face à un Star Wars. Cependant, malgré le voyage d'une jeune novice pour retrouver un vieux maître dans un endroit désert afin d'être entraîné et en dépit de toutes ces mains tendues et ces allégeances à confirmer pour passer d'un côté ou d'un autre, on est loin de l'aspect remake du Réveil de la Force. Les échos sont inéluctables, »ça rime, c’est comme de la poésie » disait George Lucas au sujet de sa prélogie, mais l'intelligence de Johnson est de suivre dans les pas de ses prédécesseurs tout en déjouant certaines attentes, à être à la fois familier et surprenant. Et de signer un film personnel. Oui, c’est tout simplement ce qu’est censé être une suite mais ce serait sous-estimer la proposition audacieuse de Star Wars : Les Derniers Jedi, Johnson utilisant les bases posées par Abrams pour mieux développer sa thématique récurrente de déni de la fatalité et un propos sur la fin du vieux monde.
LE SOMBRE MONARQUE DÉBARQUE
Depuis L'Empire contre-attaque, il existe une règle tacite, devenue un poncif, selon laquelle tous les deuxièmes épisodes se doivent d'être plus sombres. Plus largement, il s’agit d'une caractéristique propre aux deuxièmes actes, où les enjeux se doivent d'accroître et la situation de devenir de plus en plus désespérée afin que le dernier acte puisse accomplir sa catharsis. Mais Johnson ne s'impose rien. Mettons fin au suspense : les porgs sont très bien dans le film. Le marketing, le merchandising et les réseaux sociaux les ont un peu surexposés mais le dosage dans l'oeuvre en soi est nickel. À ce titre, toutes les marques d'humour, même les rares qui frisent l'humour désamorçant à la Marvel, mais qui rappellent surtout Une arnaque presque parfaite, le deuxième film de Johnson, font mouche. Le cinéaste ne s’impose pas non plus de garder la mise en scène ou l'esthétique d'Abrams. Le Réveil de la Force faisait preuve d'une énergie propre à son metteur en scène, la même qui propulsait M:i:III et Star Trek, et le rythme des Derniers Jedi est très différent. De son propre aveu, le credo d'Abrams sur son film, c'était »Est-ce que c’est réjouissant? ». L'objectif de Johnson n'est clairement pas que tout soit toujours réjouissant tout le temps. À part Brick, qui n'est pas forcément le plus user friendly, les films de Johnson ont toujours su être accessible tout en ne se pliant pas au cahier des charges le plus évident. La césure à mi-parcours de Looper est assez parlante par exemple. Les Derniers Jedi ne déroge pas à la règle. C'est sans doute ce que Johnson a fait de plus mainstream mais il émane tout de même du film une certaine personnalité, notamment dans ces choix esthétiques, comme celui d'accorder une importance particulière à la couleur rouge.
SANS PITIÉ POUR MATER LA RÉBELLION
Il n’existe sans doute pas de couleur à la symbolique plus évidente mais l'usage qu'en fait Johnson est redoutablement efficace et pertinent. Que ce soit dans l'antre de Snoke - autrement plus incarné cette fois-ci, plus menaçant, plus tangible - d'un rouge vif à exciter un taureau, terriblement oppressant, dans le costume de sa garde prétorienne, extension physique mais muette du lieu et du Supreme Leader, ou dans le minerai qui infuse chaque parcelle de la planète Crait, créant des nuées de poussière rouge au milieu d'un désert blanc, l'imagerie est tantôt psychédélique, tantôt surréaliste. Visions, flashbacks, inserts, Johnson se permet tout dans son montage. Il ne respecte aucune règle à part quelques transitions en volets. Les Derniers Jedi est vraiment un film libéré de tout carcan implicite. Nonobstant, sur 2h30, le film aurait gagné à être un peu mieux équilibré. Avec ce bon vieil éclatement narratif, l'écriture se fait inégale. Dans l'ensemble, les scènes qui suivent la Résistance se font moins intéressantes. Le récit donne la part du lion aux « Force sensitives » : Rey, Luke, Kylo Ren et Leia. Dès qu'on suit les autres, on est clairement en deçà. Souffrant sans doutes de coupes, la trame de Finn et Rose paraît quelque peu fonctionnelle même si le décor du casino de Canto Bight, trop peu montré, a le double mérite de changer des sempiternelles cantinas mais aussi de montrer l'opulence décadente des privilégiés à détruire. L'arc de Finn, d'égoïste à engagé, est bon mais un peu rapide. Il en va de même pour Poe qui doit apprendre à « vivre pour se battre un autre jour », comme on dit. Le personnage de Rose est attachant, ne serait-ce que parce qu'il s'agit d'une fille asiatique un peu ronde, trois catégories que l'on voit rarement, mais elle n'existe presque que pour servir l'arc de Finn, au même titre que DJ, surjoué par un Benicio del Toro surcasté. Néanmoins, ces parcours s'inscrivent néanmoins dans cette ode au combat pour un nouveau monde que compose Johnson.
LES CRÉDOS QUI LUI SEMBLENT ERRONÉS
D’aucuns ont déjà vu dans cette nouvelle trilogie l’histoire d’un groupe de millenials à la diversité marquée contraint de faire face à la montée de fascistes puérils et à une crise politique que la génération d’avant était censée avoir résolu. L’analogie est très juste. À propos du Réveil de la Force, nous notions déjà que le hero's journey semblablement destiné à Finn, un noir, échouait finalement à Rey, une fille, qui demandait sans cesse qu'on arrête de lui "tenir la main", littéralement, et qui n'attendait pas qu'on la sauve, et qu'en face, Kylo Ren, jeune blanc de bonne famille, incarnait le fétichiste du passé, à la fois néo-nazi avec son casque de Darth Vader/de la Wehrmacht et cosplayer nostalgique. La post-logie, ce n'est plus juste le Bien contre le Mal, comme dans la trilogie originale. C'est le progrès vs. le passé. La jeunesse vs. le vieux monde. Johnson surenchérit sur cette idée. Selon l'adage, il ne faut pas rencontrer ses héros et la fangirl propulsée héroïne d'une légende qu'est Rey ne s'attendait pas à trouver un vieux sage qui n'est ni Obi-Wan, ni Yoda. Luke a tenté d'être un mentor, ça a donné Kylo Ren. On ne l'y reprendra plus. Johnson n'est pas étranger à la métatextualité si chère à Abrams qui traversait déjà Le Réveil de la Force. Toute sa carrière, il a choisi de travailler des genres particulièrement codifiés et si Brick et Une arnaque presque parfaite s'attaquaient respectivement au film noir et au film d'arnaqueurs avec un décalage assumé, Looper et Les Derniers Jedi font de la science-fiction et du space opera au premier degré mais en continuant de jouer avec les codes créés par leurs aînés.
D’UNE THÉORIE QUI RENVERSE LES CROYANCES ÉTABLIES
Dans Les Derniers Jedi, Johnson ose balancer des vérités particulièrement fondées sur l'héritage des Jedi, évoquant notamment les événements de la prélogie, et égratigner leur image de moines droits, notamment lors de scènes qui ne sont pas sans rappeler ses précédents opus. Quand on connaît un peu Johnson, on n'est pas étonné de le voir aborder une nouvelle fois la question de la fatalité. Dès Une arnaque presque parfaite, l’auteur émettait le souhait d'une "vie non-écrite", voeu avoué d'entrée par le héros, acteur des coups montés de son frère. Tout Looper s'articulait autour de l'hypothèse "si tu pouvais remonter le temps et tuer Hitler, le ferais-tu?", ce à quoi le film répondait "non, je l'éduque", refusant de croire qu'un individu est prédestiné à quoi que ce soit. Les Derniers Jedi traite à nouveau de ce sujet et c'est en ça qu'il se risque à être un tant soit peu iconoclaste. Toutefois, il ne s'agit plus juste d'essayer de racheter tel ou tel personnage mais de subvertir les codes et de réfuter ce caractère cyclique susmentionné et inscrit dans l'ADN de la saga. Et réfuter ce caractère cyclique, c’est à nouveau mettre fin à une boucle, refuser que l'Histoire se répète. C'est résoudre ce que la génération d'avant n'a pas résolu.
VIENS, BASCULE DE NOTRE CÔTÉ
Avec l'arrivée de nouveaux auteurs sur une saga dirigée jusqu'à présent par son seul créateur, les mauvaises langues évoquent le risque de tomber dans de la fan fiction. Les Derniers Jedi est le meilleur exemple de fan fiction qui existe. Parce qu'il ne contente pas juste de donner des scènes de badasserie que l’on n'aurait jamais cru voir dans un Star Wars (tous brillent, de ceux qui usent de la Force aux robots) mais offre un épisode des plus humains, régulièrement émouvant dès lors qu'il s'attarde sur les liens entre ces humains (mère et fils, frère et soeur, apprentis), notamment par le biais d’ajouts à la mythologie surprenants et courageux. La génération d'avant n'a rien résolu. Il suffit de gratter un peu la surface pour révéler le rouge sang en dessous. Mais elle n'a pas juste rien résolu, elle doit changer. Elle doit disparaître. Et la toute dernière séquence, inattendue, et ce dernier plan, sublime, finissent d'entériner le propos.