Split
États-Unis, 2016
De M. Night Shyamalan
Scénario : M. Night Shyamalan
Avec : James McAvoy, Anya Taylor-Joy
Durée : 1h57
Sortie : 22/02/2017
Les fractures mentales des personnes présentant un trouble dissociatif de la personnalité ont longtemps fasciné et interrogé la science. Il se dit même que certains peuvent développer des attributs physiques spécifiques pour chacune de leurs personnalités, une sorte de prisme cognitif et physiologique à l’intérieur d’une seule et même personne. Kevin a déjà révélé au docteur Fletcher, sa psychiatre dévouée, 23 personnalités avec, pour chacune, des attributs physiques différents. Mais l’une d’elles reste encore enfouie au plus profond de lui. Elle va bientôt se manifester et prendre le pas sur toutes les autres. Poussé à kidnapper trois adolescentes, dont la jeune Casey aussi déterminée que perspicace, Kevin devient dans son âme et sa chair le foyer d’une guerre que se livrent ses personnalités multiples, en même temps que les divisions qui jusqu’alors régnaient dans son subconscient volent en éclats.
LA BÊTE HUMAINE
« Il y a des choses que nous aurions tous du mal à croire » : cette réplique de Split, on aurait pu l'entendre dans Signes, La Jeune fille de l'eau ou Le Village. Parce que leurs récits sont surnaturels certes, aussi parce que ce sont des films qui questionnent la foi de leurs personnages – au sens littéral dans Signes, en termes fantastiques dans les autres. Bon élève du genre, M.Night Shyamalan a toujours su faire naître l'extraordinaire du familier, et ce au plus profond du cœur de ses personnages (comme nous l'observions dans notre gros plan consacré au cinéaste). L’un ne sait pas qu’il est un fantôme (Sixième Sens), l’autre qu’il est un super héros (Incassable). La petite famille accumule les signes sans se rendre compte de leur dessein salvateur (Signes), l’aveugle déambule dans un monde de mensonges, portée par une lumière intérieure (Le Village). La différence dans Split - et ce n'est pas un spoiler – c'est que son protagoniste a bien conscience du surnaturel prêt à jaillir en lui – de lui – à l'écoute de ses multiples personnalités. Le héros incarné par James McAvoy (qui s'en sort avec brio – et on imagine le massacre qu'aurait pu donner un tel rôle avec un autre acteur) est un personnage shyamalanien en diable, tout en étant en quelque sorte son envers.
Ce qui fait de M.Night Shyamalan un des auteurs passionnants du fantastique contemporain, c'est sa façon de saisir le genre et de le questionner. Le fantastique est un outil : c'est une quête de soi plus qu'un simple tour de manège. Pour cela, on s'écoute beaucoup, on est attentif aux autres. Chez Shyamalan, on est psy, agent de sécu, prêtre, docteur... Et Split encore une fois laisse une large place à l'écoute, ici aux séances de psy qui donnent l'impression d'encadrer le surnaturel, de le circonscrire – alors qu'il est par essence insaisissable.
Après une intro tranchante (cadre, découpage, timing – une perfection), Split se meut en un slow burner, un film d'enlèvement façon L'Obsédé de Wyler – le long métrage ira, petit à petit, ailleurs. Pour cela, il fait confiance à ses acteurs. On a parlé de James McAvoy, on ne louera jamais assez Anya Taylor-Joy. La découverte de The Witch est un bijou, portant en elle une fragile ambiguïté qui rappelle celle d'une Elle Fanning, tranchant avec la génération précédente d'actrices américaines qui, de Jennifer Lawrence à Emma Stone, étaient davantage dans un créneau et emploi de BFF. On s'accroche – et on doit s'accrocher - à elle qui déambule au cœur de ce labyrinthe dans lequel elle est prisonnière, ces longs couloirs et ces tuyaux filmés comme un système nerveux à vif. On suit ses flashbacks, aussi doux et séduisants que vénéneux et pourris, comme autant d'étranges respirations dans le récit.
On a pu parler de recette Shyamalan sur ses précédents longs métrages, le cinéaste est également un architecte – en témoigne ici la construction minutieuse de Split : par la forme (certaines séquences, par leur montage et leur tension, sont assez magistrales) et par le récit qui égrene ses indices tout en restant imprévisible et conservant sa part de mystère. La musique gronde (grogne?) et quelque chose se trame. Shyamalan a souvent été traité avec cynisme, c'est pourtant son goût pour la candeur et l'innocence qui donne son prix à ce cinéma – ce moment où l'on est sûr qu'il y a un cœur qui bat. Split, d'une certaine manière, est aussi un conte, et si le dénouement fait un énorme clin d’œil à un autre film du cinéaste, c'est davantage à La Jeune fille de l'eau qu'on aura pensé jusque là : sur le conte, sur la foi, sur la persuasion, sur la pureté, sur le surgissement du surnaturel, sur la façon dont il est imposé par le réel – tout ce qui rend son cinéma précieux. « Croyez-vous vraiment ces histoires ? », demande t-on. Avec un tel talent, on est prêt à tout croire.