Spider

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Spider
Spider
États-Unis, 2002
De David Cronenberg
Avec : Gabriel Byrne, Ralph Fiennes, Bradley Hall, John Neville, Lynn Redgrave, Miranda Richardson
Durée : 1h38
Sortie : 13/11/2002
Note FilmDeCulte : ******

Le nouveau film de David Cronenberg n'est pas un film à suspense classique. Tout le monde comprendra les tenants de l'intrigue dès les premières minutes. Nous tenons toutefois à informer le lecteur que le texte qui suit révèle, dès son deuxième paragraphe, certains aboutissements du film et qu'il peut donc en gâcher la vision pour certains - même si encore une fois, l'intérêt du métrage est ailleurs que dans son intrigue à suspense

Revenu sur les lieux où il passa son enfance, Spider revit les moments difficiles qui ont vu sa mère progressivement remplacée auprès du père par une prostituée à la vulgarité sans limite.

Spider est un cas à part. Celui d'un cinéaste considéré par ses fans comme le meilleur au monde, décidant de revenir aux sources même du cinéma afin de faire fusionner organiquement cet art avec ce qui constitue l'essence même de son œuvre. Et cela, à travers un film fait de signes et de clins d'œil plus passionnants les uns que les autres. Spider est ainsi autant une manière de conduire le spectateur, dès la séquence d'ouverture, vers un instant primitif du cinéma (l'arrivée du train en gare, réminiscence du film des frères Lumière) et aux spécificités même de l'acte créatif, qu'un voyage à travers les thèmes chers au cinéaste. Une sorte d'auto-réflexion de Cronenberg sur ce qui fait la richesse et l'originalité d'une œuvre organisée autour notamment de trois grands axes. L'aspect (auto)biographique et la répétition d'un moment matriciel - la déchéance mentale et physique de Seth Brundle dans La Mouche, métaphore du cancer qui tua à petit feu le père du cinéaste lorsque celui-ci était encore enfant, la reconstitution d'éléments de jeunesse des jumeaux Mantle lors de leur "séparation" dans Faux-semblants - , l'évidente filiation entre l'évolution mentale et physique de personnages en pleine mutation - Videodrome, Le Festin nu, Rage etc. -, et enfin la tentative de mettre en scène certains éléments trop durs à assumer - M. Butterfly, Le Festin nu. Trois thèmes éminemment cinématographiques, tout autant visuels que psychologiques, permettant au cinéaste de mettre à nu dans ce nouveau film le délire créatif de l'artiste par le biais d'une adaptation d'un roman de Patrick McGrath.

A la base de Spider, il y a un déni de réalité, symptôme psychotique déjà à l'origine du film M. Butterfly, chef d'œuvre sous-estimé de Cronenberg dans lequel un diplomate refuse de voir que la femme qu'il aime est un homme. Dans le cas d'une contamination par ce syndrome, le sujet - ici, Spider, impeccablement joué par Ralph Fiennes - est amené à littéralement "se faire des films", et à adopter une attitude démiurgique de metteur en scène, cherchant à créer de toute pièce une réalité falsifiée, imaginaire, donc cinématographique. Notant sur un carnet des lignes d'écriture incompréhensibles, Spider n'est rien d'autre qu'une métaphore de l'artiste cherchant péniblement à écrire, à créer. Impénétrable, imperméable au monde qui l'entoure, celui ci s'enferme dans une zone imaginaire proche du Tanger dans lequel évoluaient les mugwumps du Festin nu, et dans laquelle il retranscrit sa vie avec ce que cela suppose de mensonges et de romances, aboutissant finalement à l'élaboration d'un "roman familial", au sens où Freud l'entendait. Il n'est plus l'assassin de sa mère, mais celui d'une prostituée qui a pris sa place. Et il cherche autant à découvrir la vérité qu'à la falsifier en la mettant en scène par le biais de flash-back auxquels lui même assiste, selon un procédé permettant de coller intimement au roman original - qui a la spécificité de raconter au présent les retours en arrière du personnage. A travers ce personnage de (re)créateur, jamais Cronenberg ne s'était autant livré. La plongée dans l'esprit du malade devient ainsi une plongée au cœur du cinéma du réalisateur à travers de courts détails présentés comme autant de clins d'œil à une œuvre dense: les nombreuses cuillères de sucre que Spider verse dans son café (scène mythique de La Mouche), l'errance du personnage (rappelant celle de Beverly Mantle à la fin de Faux-semblants), le déni de réalité, l'homme mettant sa vie en scène, la femme mutante, la transmission, et surtout, la "dead zone" dans laquelle l'écrivain se réfugie après le meurtre de la femme... Des récurrences évidentes pour certaines, anecdotiques pour d'autres, renforçant l'aspect introspectif du film et nous invitant ainsi à revenir à la source même de son cinéma: la femme en tant qu'objet dangereux.

La femme a toujours été chez Cronenberg un objet de crainte et de fascination. Source de problème, elle est également à l'origine de l'évolution de l'homme, sa mort entraînant par exemple William Lee à écrire (Le Festin nu). Corps étranger, elle est perçu comme une mutante, dont on doit se séparer, avoir peur, ou au contraire avec laquelle on doit fusionner pour ne former qu'un seul être (La Mouche). Tout comme l'adaptation du livre de Burrough, Spider est un long parcours hallucinatoire dans lequel l'homme doit achever son ultime mise en scène, prendre acte de son statut d'artiste, par la mort de la femme. L'écriture ne peut véritablement commencer qu'après le matricide, afin de se déculpabiliser de cet acte que le cinéaste décrit métaphoriquement comme naturel. Seulement ici, la femme (du père) est également la mère (de l'enfant). Et cet état de fait l'oblige à se partager. Evolution troublante et grave dans le cinéma de Cronenberg. La mère devient une mutante parmi les mutantes, tout comme l'était l'actrice aux trois utérus de Faux-semblants. Mais là où le cas de Claire Niveau dans le film précité était "fabuleusement rare", celui de la mère telle qu'elle est présentée dans Spider prend une résonance toute particulière: objet enfantin et universel, elle devient un être sexué et masturbatoire lorsque l'enfant subit lui-même la mutation qui le conduit à l'adolescence, la transformation de l'une étant le corollaire de celle de l'autre. Aux yeux du fils devenant adulte, la mère se transforme littéralement en une prostituée vulgaire et nymphomane qu'il faut éliminer absolument avant qu'elle ne soit totalement assimilée à la famille. C'est ici prendre le complexe d'Œdipe à rebours. Il ne s'agit plus de tuer le père, mais de tuer l'image vulgaire que le père a de sa femme - soit castrer le père en lui retirant l'objet de ses pulsions sexuelles -, afin de garder pour soi l'illusion réconfortante de la mère. Probablement l'idée la plus atroce, mais également la plus humaniste donc la plus bouleversante, jamais sortie de l'œuvre de Cronenberg. Laissons au cinéaste le mot de la fin: "Comment réagit l'enfant lorsqu'il découvre ce qu'il ne peut pas comprendre? Que se passe-t-il dans son esprit alors qu'il ne fait pas encore la différence entre sexualité et violence? Le jeune Spider va apporter sa propre réponse à ces questions. Il va tenter de se structurer une cohérence. Le résultat est un mélange de faits réels revisités par l'imagination à travers les spécificités et les limites de son esprit".

par Anthony Sitruk

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