Speed Racer
États-Unis, 2008
De Andy Wachowski, Lana Wachowski
Scénario : Andy Wachowski, Lana Wachowski d'après le dessin animé de Tatsuo Yoshida
Avec : Matthew Fox, John Goodman, Emile Hirsch, Christina Ricci, Susan Sarandon
Photo : David Tattersall
Musique : Michael Giacchino
Durée : 2h15
Sortie : 18/06/2008
Speed Racer est un as du volant qui enchaîne les victoires. Né pour ce sport, il n'a connu qu'un seul rival : son propre frère, le légendaire Rex Racer, fauché en pleine gloire et dont il est aujourd'hui l'héritier. Loyal à la firme de son père, Speed a rejeté une alléchante proposition de Royalton Industries. Après s'être attiré par ce refus la haine du fanatique Royalton, Speed découvre que certaines des plus grandes courses américaines sont truquées par une poignée d'hommes d'affaires...
A VOS MARQUES…
Décidément, les frères Wachowski ont choisi de faire vivre aux geeks un manège de sensations, de la déception exponentielle que sont les suites de Matrix jusqu’à ce Speed Racer, en passant par leur participation à des films tels que V pour Vendetta ou Invasion. Toujours désireux d’en donner à leur public, les frangins ne sont cependant jamais là où on les attend. Ainsi lorsqu’ils annoncent reprendre en main l’adaptation de ce dessin animé (méconnu en France), cela crée la surprise. Puis on se rappelle leur goût pour l’animation japonaise et en regardant le générique originel de la série, on peut y voir l’ancêtre de l’effet bullet-time popularisé par Matrix. Si le projet n’étonne plus, sa production éveille la curiosité. On parle d’un film intégralement tourné sur fond vert, comme la nouvelle trilogie Star Wars, dont ils engagent même le chef opérateur. Comme à son habitude, Joel Silver promet, en bon producteur, un film révolutionnaire dans sa mise en scène des courses de voiture. Et enfin arrivent les premières images et l’approche, tant dans la forme que le fond, divise les spectateurs comme rarement. En effet, en mélangeant à nouveaux des influences venues de divers horizons (comics, manga, japanime, cartoon, jeux vidéo) dans un cocktail qui semble être le fruit d’un artiste sous mescaline, le tandem avance un parti-pris radical qui a tôt fait de créer un clivage même parmi les fans. Néanmoins, à l’arrivée, c’est une nouvelle victoire pour le duo tant décrié.
FRERE WACHO, RACONTE-NOUS UNE HISTOIRE
Si leur célèbre trilogie s’imposait comme le Star Wars de la nouvelle génération, épousant le monomythe cher à Joseph Campbell tout en digérant nombre de références culturelles, Speed Racer se présente comme la proposition des frères Wachowski de l'étape suivante dans la mise en scène du cinéma à grand spectacle. C'est probablement le blockbuster et le film pour enfants le plus exigeant qu’il soit. Là où Matrix s'inspirait déjà des mêmes sources, citées plus haut, pour aboutir à un langage nouveau (le bullet-time étant son principal symbole), ce nouvel essai prolonge l’expérience un peu plus loin encore. Il suffit de voir la longue séquence d’exposition élaborée qui ouvre le film. Après ses logos passés au kaléidoscope, annonçant d’entrée les couleurs, le récit embraye sur un montage parallèle de deux courses situées à deux moments distincts dans le temps et se permet un va-et-vient constant entre passé et présent afin de délivrer un maximum d’informations sur l’univers et les personnages en un temps record. D’un point de vue narratif, le pari est déjà osé. Lorsque s’ajoute à cela l’exigence imposée par la démarche esthétique des metteurs en scène, passant du dessin animé (Speed enfant qui s'imagine dans une course de croquis enfantins de voitures mal coloriées) au jeu vidéo (Speed ado qui essaie de battre le record d'un "fantôme" dans un circuit à la Mario Kart), allant de flashbacks en flashforwards par le biais de transitions tout droit sorties d’un manga (ces panoramiques filés aux lignes hautes en couleurs), l’exercice peut s’avérer rapidement éprouvant. Or pour quiconque se laissera prendre en stop par le bolide des Wachowski, c’est un régal de néons fluo. Oubliées les interminables scènes d’explications lourdingues de Matrix Reloaded, ici tout est plus dynamique.
TROP FAST TROP FURIOUS
Une vélocité qui trouve un exutoire dans les nombreuses courses du film dont chacune offre son lot de cascades et de plans improbables où la caméra évolue de voiture en voiture, passant à travers les cockpits, sous les véhicules, etc. Bien évidemment, on assiste à un grand déballage d’images de synthèse à la pointe de la technologie mais l’utilisation de ces effets spéciaux se révèle suffisamment réfléchie pour éviter le piège du tout numérique sans affect aucun chez le spectateur. Pour simplifier, on renvoie à une imagerie de jeu vidéo mais on n’est pas DANS un jeu vidéo. Seuls les allergiques devraient tiquer face à l’apesanteur que s’octroient les personnages avec leurs machines truffées de gadgets en tous genres, magnifiés par des ralentis témoignant une fois de plus de la quête de l'effet produit par l'image fixe et non moins iconique d’un comic book, dilatant le temps à l'infini mais toujours en mouvement. C'était déjà la grande idée derrière le bullet-time et derrière nombre d'adaptations de bandes dessinées qui ont suivi, à commencer par le premier Spider-Man mais aussi le climax de l'introduction de X-Men 2 par exemple. Visuellement aussi donc, le film est très demandant. Dès le départ, un gros saut de foi est requis même pour les passages hors courses (avec ces décors volontairement lisses et factices) et par la suite, la forme n’a de cesse de se densifier (travellings circulaires avec arrière-plan qui se transforme, action avec des silhouettes de véhicules en noir et des décors tout en rouge, etc.), le tout monté à 200 à l’heure. C'est la folie pure. L’œil en serait presque fatigué s’il n’était celui, affûté, du public du XXIe siècle.
LA SECTE DE WACHO
Au rayon des bémols, on regrettera un premier degré poussif, multipliant les longs discours familiaux ou les gags infantiles de Spritle & Chim-Chim, quota obligatoire de ce film pour gosses qui fait un peu retomber le soufflé entre chaque séquence dantesque. Heureusement, l’ensemble demeure sincère. A ce titre, les premières minutes du film montrant Speed gamin parviennent même à être touchantes. On remarquera également quelques marques de fabrique de la part des auteurs. Outre les petites auto-références sympathiques (chorégraphies d'arts martiaux quasi-identiques à celles de Matrix), l’intrigue adopte des échos de celle de la trilogie. Une fois de plus, un jeune héros au talent unique se retrouve guidé par un mentor tout aussi doué, à vouloir changer son monde en faisant éclater la vérité. Seulement ici, les mégacorporations remplacent les machines de la matrice tandis que les courses de voitures à gadgets se substituent au kung fu et aux fusillades. Le risque étant de tomber dans ses pires travers, pour preuve, le monologue longuet du méchant Royalton sur le Grand Prix truqué de 1943 et les laborieuses magouilles cachées derrière. Une chose est sûre, les frères Wachowski se donnent à fond derrière la caméra. Plutôt que de se reposer sur leurs lauriers après avoir complété une trilogie attendue au tournant et crucifiée par certains, comme George Lucas, les frangins s'amusent et inscrivent leur dernier opus dans l'éternelle évolution du langage cinématographique, de l'image en mouvement. En bons cinéphiles, ils y font même directement référence, tout d'abord par le petit dessin animé improvisé en cours sur les bords des pages du carnet du petit Speed, puis avec le zootrope qui compose carrément les murs d'un tunnel durant la dernière course. Speed Racer est un grand huit évoquant tour à tour Tron, Dick Tracy, La Menace fantôme, Matrix, Mario Kart, Sin City. Et même 2001, l’odyssée de l’espace.