Son frère
France, 2002
De Patrice Chéreau
Scénario : Patrice Chéreau, Anne-Louise Trividic
Avec : Eric Caravaca, Bruno Todeschini
Durée : 1h35
Sortie : 10/09/2003
Deux frères qui se sont perdus de vue se retrouvent lorsque l'aîné apprend qu'il est atteint d'une maladie incurable.
O BROTHER WHERE ART THOU?
En abdiquant, la carcasse meurtrie de Thomas sur son lit d'hôpital s'affiche comme une autre représentation du corps chez Chéreau. Ni le corps mort du patriarche de Ceux qui m'aiment prendront le train, immobile par la force des choses, loin des chairs énamourées d'Intimité; simplement un corps qui s'abandonne. Chéreau filme la déliquescence charnelle en même temps qu'il capte un renouveau humain, libéré de toute prison, qui ne passe plus par le corps mais seulement par le regard. Celui du benjamin, dans un coin de la chambre de l'hôpital, à observer la chair manipulée de l'aîné qui a insisté pour qu'il soit présent, et ainsi témoin. Chéreau noue les extrêmes, capte la mort et la renaissance autour d'un corps réifié qui fait office de bâton de relais. De la détresse initiale et verbale (Thomas débarquant chez son frère Luc pour lui annoncer sa maladie), il ne reste qu'un corps abîmé, et un désir d'en faire un objet virginal, dépossédé de ses vêtements, tondu, nu de la façon la plus immédiate. La question d'intimité entre les deux frères est frontalement représentée, l'environnement s'effaçant (la famille lointaine, la petite amie déboussolée, l'ami homosexuel éconduit) pour ne faire place qu'à ces deux figures dans une situation jusqu'alors inédite pour elles.
SI CET AUTRE NOUS N'ETAIT QU'UN FAUX FRERE
C'est avant tout sous le signe de l'hésitation que se situe la relation entre Luc et Thomas. Ce doute qui oppose deux étrangers qui partagent le même sang et la même chair, cette étrange familiarité qui crée le malaise entre les deux personnages aux fibres communes. Cette ambiguïté également, d'un amour aussi fou (ou indicible) que réfréné (voire nié), mal dessiné et en partie inconscient, avant tout viscéral plutôt que digéré. Chacun se rejette la responsabilité de l'éloignement, alors que chacun a sa raison d'être mal à l'aise face au miroir déformant de l'autre, persuadé qu'ailleurs, la vie continue dans l'absence. Il reste l'impression de pièces qui s'imbriquent malgré tout, d'une chaise vide quand l'un n'est pas là, d'une complémentarité dans la différence ou l'indifférence, avec ce cordon ténu mais régulier. Le benjamin ne voit plus que le vide laissé par l'aîné qui part, l'aîné accroche son regard sur le benjamin lorsque le vide se présente à lui. Chéreau pose son regard atone, n'amplifie jamais les sentiments, laisse le fil de ses personnages se dérouler, tout naturellement. Sa fraternité, au final, se passe plutôt de mots.