Snow Therapy
Turist
Suède, 2014
De Ruben Östlund
Scénario : Ruben Östlund
Durée : 2h00
Sortie : 28/01/2015
Une famille suédoise passe ensemble quelques précieux jours de vacances dans une station de sports d’hiver des Alpes françaises. Le soleil brille et les pistes sont magnifiques mais lors d’un déjeuner dans un restaurant de montagne, une avalanche vient tout bouleverser. Les clients du restaurant sont pris de panique, Ebba, la mère, appelle son mari Tomas à l’aide tout en essayant de protéger leurs enfants, alors que Tomas, lui, a pris la fuite ne pensant qu’à sauver sa peau…
LES FEMMES ET LES ENFANTS D’ABORD
Snow Therapy est seulement le quatrième long-métrage du Suédois Ruben Östlund (lire notre entretien), et pourtant son style présente déjà des évolutions nettes et enthousiasmantes. Après Happy Sweden et surtout l’incroyable choc de son précédent film, le glaçant et colossal Play (toujours scandaleusement inédit chez nous), Snow Therapy surprend en effet par plusieurs aspects, notamment l’importance inédite donnée ici aux comédiens et à leur jeu. Les plans séquences, signature déjà habituelle de l’auteur, alternent ici avec des gros plans. Qui aurait parié qu’Östlund allait filmer en gros plan et de manière sincèrement émouvante le visage d’une actrice en larme? On retrouve néanmoins ce qui lui a permis d’être rapidement placé très haut parmi les meilleurs nouveaux réalisateurs européens : un sens rare de la composition, des plans séquences audacieux et qui n’ont rien de décoratif, où la caméra reste fixe tandis que le chaos bout sous nos yeux. On retrouve également l’intérêt du réalisateur pour les phénomènes de groupe ou les réactions en cas de crise. Mais le rire jaune de Happy Sweden et l’éprouvante angoisse de Play laissent ici place à un ton qui, s’il ne se dépare pas d’une ironie ou d’un certain humour, se caractérise par une surprenante bienveillance. Östlund ne se place pas au-dessus de ses personnages, il les accompagne au contraire comme jamais.
Snow Therapy débute par une scène farfelue où les protagonistes se retrouvent à devoir poser pour une photo familiale pour touristes. Ils suivent les indications ringardes du photographe, prennent des poses kitsch sans trop y croire, mi-gênés mi-amusés. On le réalise pas encore, mais tout le propos du film est déjà là : la famille est une posture, un rôle à tenir. De quoi parle Snow Therapy? Tout d’abord d’une avalanche. Celle dont les protagonistes sont à la fois témoins et victimes. Un séquence-clef particulièrement impressionnante, où en quelques secondes le rire et la fascination laissent place au malaise et la peur brute. Et pourtant le vrai drame du film n’est pas tant cette catastrophe naturelle que les conséquences auxquelles fait face la famille survivante. Comment chacun a réagi dans la panique, ce que chacun a dévoilé malgré lui de sa vraie nature, voilà ce qui va bouleverser l’équilibre familial. La posture n’est plus aussi assurée, l’équilibre factice de carte postale vacille violemment. Et nous sommes aux toutes premières loges pour assister à ce naufrage familial pas moins tendu que celui du Titanic.
A l’origine du film, il y a d’ailleurs une observation liée aux naufrages et aux catastrophes naturelles. Les statistiques montrent qu’en de tels cas, les hommes ont un taux de survie nettement plus élevé que les femmes ou les enfants. Les hommes en prennent pour leur grade dans cette déconstruction du mythe du Pater Familias, mais Snow Therapy dissèque avec humour. Au moment où l’on craint qu’il tourne au règlement de compte, le film se permet un improbable décrochage sous la forme d’un hélicoptère télécommandé impromptu et quasi surnaturel. Lors d’une superbe séquence neigeuse, un quasi-monochrome blanc digne d’une pub Axion 2, la famille se perd et se retrouve, se décompose et recompose au gré des vents neigeux. Le symbole est puissant, à la fois évocateur et émouvant. Mais Östlund est trop fin pour se contenter de tant de bons sentiments. Il fait suivre cette séquence par une autre, elle aussi tétanisante, ou les protagonistes se retrouvent face à une angoisse vive et contagieuse. Leurs réactions donnent lieu à une conclusion alors douce-amère : à la fois pleine de honte et de compassion. Il est difficile de garder l’équilibre de la posture familiale. Rien que pour ces deux séquences stupéfiantes, Snow Therapy s’impose comme l’un des meilleurs films sur la famille vu depuis longtemps. Un film sur la famille qui prend les voies du film catastrophe ? Ce n’est pas la moindre surprise en provenance du réalisateur Suédois surdoué.