Sinners

États-Unis, 2025
De Ryan Coogler
Scénario : Ryan Coogler
Avec : Michael B. Jordan, Delroy Lindo, Hailee Steinfeld
Musique : Ludwig Goransson
Durée : 2h17
Sortie : 16/04/2025






Dans les années 1930, durant la Prohibition, les jumeaux Elijah et Elias reviennent dans leur ville natale de Louisiane pour redémarrer leur vie. Ils vont cependant être confrontés à d'horribles évènements surnaturels.
LA COULEUR ROUGE
Son premier film était tiré de faits réels, son second était un spin-off et techniquement le septième épisode d'une franchise et il a enchaîné avec une adaptation de comics inscrite au sein de l'univers Marvel et sa suite. Sinners est donc le premier film de Ryan Coogler qui soit intégralement original, né de son propre aveu de faire enfin un film qui lui ressemblait vraiment, qui était entièrement le sien et c'est clairement le type de projet personnel que tu fais quand tu es au peak de ton pouvoir auprès des studios (c'est Warner qui a accepté/remporté le deal globalement sans précédent imposé par le cinéaste : un pourcentage dès les premières recettes, le final cut, un budget de 80M$ et les droits lui reviennent dans 25 ans). Et Coogler est all in, littéralement - il a ajouté 20M$ de sa poche pour finir le film - mais aussi artistiquement. Il a tout mis. Sinners trempe dans le film de gangsters, le western, le musical et le film de vampires, affichant les influences d'un jeune réalisateur qui a grandi avec Une nuit en enfer et The Faculty mais aussi l'héritage de toute une culture noire américaine. En fait, c'est un peu son Sucker Punch. Mais en mieux digéré et avec un propos socio-politique. Quoiqu'on pense du film, il est admirable de voir une telle ambition.
Parce qu'elle transpire par tous les pores de ce film tourné dans une pellicule qui lui confère toute sa texture, tangible, presque calorifère et olfactive. Pendant près de la moitié de ses 2h17, il ne se passe virtuellement rien. Le récit se concentre exclusivement sur le recrutement des différentes personnes que les jumeaux (Michael B. Jordan qui s'amuse dans ce double rôle) veulent pour l'ouverture de leur club et on ne parle pas d'un enchaînement ludique de heist movie, on est plutôt dans le portrait d'une communauté et d'une époque, des plantations aux églises, des musiciens de blues aux épiciers asiatiques, et c'est tout aussi engageant. Le sense of place est communicatif. Coogler alterne entre le 65mm Ultravision et l'IMAX 70mm soit deux formats aux opposés extrêmes, passant d'un 2.76 panoramique au 1.43 vertical pour mieux sublimer les champs interminables et les incroyables vistas baignées dans l'heure magique.
C'est aussi, dès le départ, un film qui sue le sexe. Que ce soit dans les répliques ou dans les actes, le film assume une dimension charnelle avant même que le premier suceur de sang ne pointe le bout de ses canines. Comme son titre l'indique, Sinners est une réflexion sur notre nature de pécheur et le rapport au corps traverse le film, que l'on danse, que l'on baise, qu'on joue de la guitare ou du flingue, que l'on bave, que l'on saigne (et toujours en effets de plateau), dialoguant avec sa dimension spirituelle, la musique étant vue à la fois comme un appel au Diable et l'outil d'une potentielle ascension. A ce titre, les deux séquences les plus impressionnantes du film sont d'ailleurs musicales. Dans la première, l'image s'ouvre pour occuper tout l'écran et un plan-séquence traverse une piste de danse, transcendant passé et présent, tandis que la seconde voit une troupe s'animer soudainement d'un chant improbable, à la fois stimulant dans la forme et terrifiant dans le fond. Deux scènes de transe pure absolument folles.
C'est là que l'on comprend comme le genre (et l'IMAX) intéresse Coogler davantage comme véhicule de son propos que pour du spectacle, les confrontations avec les vampires demeurant relativement sommaires. Les esprits les plus étriqués auront sans doute comme réaction épidermique "ah oui d'accord, tous les méchants sont des blancs, c'est bas de plafond", trahissant leur propre manque de jugeote, alors que la figure du vampire n'est pas tant là pour représenter "les Blancs" mais la séduction et les dangers de l'assimilation. C'est là que le choix de structure prend tout son sens, ayant fait la part belle à l'assemblement d'une communauté autour d'une culture pour mieux qu'elle se retrouve menacée dans cette deuxième moitié, risquant d'être gommé par le conformisme vendu aux immigrés. Le vampire en chef n'est pas irlandais pour rien et son discours sur l'aspect réconfortant de la religion qui lui a été jadis imposé est tout aussi éloquent que la jig dans laquelle il enivre ses nouveaux convertis.
On peut également y voir un sous-texte sur les sirènes des studios avides de jeunes artistes à vampiriser et formater, le protagoniste chanteur étant vraisemblablement un alter ego de Coogler lui-même. Derrière les apparats des genres, derrière les Tommy Gun et les pieux de bois, Sinners est une célébration des cultures, celles qui se ressemblent et se conjuguent (cf. la narration d'introduction), et le témoignage d'un artiste inquiet pour son âme.