Sieranevada
Roumanie, 2016
De Cristi Puiu
Scénario : Cristi Puiu
Durée : 2h53
Sortie : 03/08/2016
Quelque part à Bucarest, trois jours après l'attentat contre Charlie Hebdo et quarante jours après la mort de son père, Lary - 40 ans, docteur en médecine - va passer son samedi au sein de la famille réunie à l'occasion de la commémoration du défunt. L'évènement, pourtant, ne se déroule pas comme prévu. Les débats sont vifs, les avis divergent. Forcé à affronter ses peurs et son passé et contraint de reconsidérer la place qu'il occupe à l'intérieur de la famille, Lary sera conduit à dire sa part de vérité.
LA MESSE A LA MAISON
Le nouveau film de Cristi Puiu (lire notre entretien) commence sur les chapeaux de roues... avec une voiture pourtant à l’arrêt, garée en double file. La scène de micro-embouteillage crée d’emblée un double suspens. Pressés et agacés, les protagonistes se reprochent mutuellement leur retard au repas funéraire où ils sont attendus. L’habitacle de la voiture, comme plus tard l’appartement où se passe la majorité du film, se transforme alors en cocotte-minute prête à imploser sous les règlements de compte familiaux. L’autre forme de tension, plus discrète, provient de la mise en scène. Cette première séquence est filmée à distance, depuis l’autre bout de la route, comme par une caméra de surveillance. Une caméra qui n’entend pas tout mais qui voit tout.
Une caméra presque omnisciente. Cristi Puiu filme en temps réel un repas familial chaotique réunissant une quinzaine de membres entassés dans un appartement où chacun court et se bouscule. Abandonnant certains protagonistes pour se concentrer sur d’autres, la caméra passe de pièce et pièce, chacune étant le théâtre d’une sous-intrigue. Cristi Puiu nous plonge dans cette famille affairée comme une fourmilière en panique, réunie pour rendre une dernière fois hommage au père décédé. La caméra capte tout cela à hauteur d’homme, immergée et pourtant curieusement distante, comme si elle épousait le point de vue même du défunt, et le regard ironique que celui-ci porte sur la vaine agitation des vivants.
De la recette de la soupe à l’histoire entière de la Roumanie communiste et même jusqu’au 11 septembre : les membres de cette famille mettent tout sur la table, et n’arrivent à s’entendre sur rien. Au milieu d’une cacophonie accentuée par une radio que personne ne songe pourtant à eteindre (oh, du Ace of Base !), chacun tente de sauver les meubles, et s’affaire à respecter les habitudes familiales et les rituels funéraires jusqu’à l’absurde. Jusqu’à décaler le véritable début du repas, sans cesse retardé dans un running gag absurde et kafkaien. Un peu comme si la folie domestique du Charme discret de la bourgeoisie de Buñuel était passée au bouillon d’Un mariage d’Altman. Sieranevada partage d’ailleurs avec ces deux exemples un art de la variation de registres : alternant rire et angoisse, le dérive de cette famille coincée entre héritage historique non résolue et traditions vides de sens a beau durer près de trois heures, elle est passionnante jusqu’au bout, rien de moins.