Shara
Japon, 2003
De Naomi Kawase
Scénario : Naomi Kawase
Avec : Kohei Fukunaga, Kanako Higuchi, Yuka Hyodo, Naomi Kawase, Katsuhisa Namase
Durée : 1h39
Sortie : 31/03/2004
La famille Aso vit paisiblement dans le quartier historique de Nara, ancienne capitale du Japon. Kei et Shu, deux frères jumeaux, se poursuivent dans les ruelles. Kei disparaît subitement.
L’INSOUTENABLE LEGERETE DE L’ETRE
Grand oublié du dernier Festival de Cannes, Shara est la nouvelle perle venue d’Orient, un authentique chef-d’œuvre d’une pureté cinématographique rare qui convoque Yasujiro Ozu, Hou Hsiao-Hsien, Shohei Imamura et Isao Takahata dans un même élan poétique et réaliste. Une histoire de disparition et de renaissance. De deuil et d’amour. Naomi Kawase filme dans sa ville natale, Nara, le lien indéfectible qui unit les êtres par-delà la vie et la mort, les silences et les regards. Dans le lumineux Suzaku, caméra d’or à Cannes en 1997, elle avait plongé sa caméra au sein d’une communauté rurale perdue entre modernisme et traditionalisme, mis en scène un amour naissant à la résolution rendue impossible par le destin. Shara en est son négatif, déformé et serein. Le lieu a changé, les grands espaces forestiers ont laissé la place à un quartier labyrinthique mais l’impression de réel est la même. Naomi Kawase possède un don inné pour retranscrire la beauté visuelle et sonore du monde, pour nous imprégner de l’atmosphère d’une communauté. Cinéma de sensation, d’épure et d’ellipse, son art rend palpable le moindre soubresaut intérieur.
FAUX SEMBLANTS
Shara commence par une étrange disparition, celle de Kei, le frère jumeau de Shu. On ne saura jamais ce qu’il lui est advenu. On sait juste qu’un jour, lors de la fête du Dieu Jizo, il a laissé son frère seul au monde. Pour Shu et sa famille, le plus difficile commence alors. Comment accepter cet abandon, s’ouvrir aux autres, exprimer sa douleur? Le père et le fils semblent déboussolés et se réfugient dans l’art, le premier en organisant une fête de village, le second en esquissant le portrait de son défunt frère. Seule la mère, plus en communion avec la nature, semble accepter l’ordre des choses avec fatalité. Elle apporte l’apaisement nécessaire au foyer et surtout la promesse d’un heureux événement. Mais tout l’édifice familial semble fragile, déséquilibré, hanté par l’absent. Il y a des scènes absolument magnifiques dans Shara: Shu calmé par son père le jour de la terrible nouvelle, un baiser volé d’un érotisme sublime un soir d’été, Yu, jeune fille amoureuse de Shun, qui apprend sa véritable identité sans sourciller, la fausse alerte donnée par le père…
ENCRES DE CHINE
Indolent, le rythme de Shara épouse celui de l’été japonais. A l’aide d’une mise en scène virtuose qui semble flotter au sein de la communauté comme une présence constante, un regard divin, Naomi Kawase nous place volontairement dans un état d’observation du réel. Tout nous est offert: un chat qui dort paisiblement, une longue promenade à vélo, le choix d’une nouvelle paire de sandales, un jardin potager. En filmant de petits épisodes de la vie quotidienne, la cinéaste nous oblige à veiller sur la famille de Shu et à partager ses peines et ses rires. Les barrières culturelles s’estompent. Nul besoin de connaître la tradition de la fête de Basara pour saisir ce qui se joue dans l’insensée transe finale qui rappelle métaphoriquement la danse de Zatoïchi. Porté par l’enthousiasme de Yu, on éprouve la joie d’être vivant, on partage avec elle l’envie de conjurer le sort, de chasser les démons, d’écarter la mort des siens. Shara finit par une naissance et les larmes de bonheur qui coulent sur le visage de Shu enfin sorti de son mutisme émotionnel. Le Dieu-caméra (fantôme de Kei?) peut alors s’envoler, l’esprit libéré. A Nara, le cycle de la vie a repris.