Séraphine
France, 2008
De Martin Provost
Scénario : Marc Abdelnour, Martin Provost
Avec : Anne Bennent, Yolande Moreau, Ulrich Tukur
Photo : Laurent Brunet
Musique : Michael Galasso
Durée : 2h05
Sortie : 01/10/2008
En 1912, le collectionneur allemand Wilhelm Uhde, premier acheteur de Picasso et découvreur du douanier Rousseau, loue un appartement à Senlis pour écrire et se reposer de sa vie parisienne. Il prend à son service une femme de ménage, Séraphine, 48 ans. Quelque temps plus tard, il remarque chez des notables locaux une petite toile peinte sur bois. Sa stupéfaction est grande d'apprendre que l'auteur n'est autre que Séraphine. S'instaure alors une relation poignante et inattendue entre le marchand d'art d'avant-garde et la femme de ménage visionnaire.
ART BRUT
Vie et mort de Séraphine de Senlis: on pouvait voir venir à mille lieues l'exercice étriqué pour sorties scolaires mais le film de Martin Provost s'avère être une excellente surprise, évitant avec brio les pièges de l'académisme Bonne Maman. Refus de la biographie linéaire d'abord, qui laisse une large place aux ellipses dans ce parcours de l'ombre fait de creux et de bosses, choix de privilégier les touches impressionnistes, des moments d'étrange flottement perchés aux arbres, et une préférence pour les silences, la main de Séraphine glissant dans l'eau dont la quiétude n'est troublée que par les cloches au loin, ou les voitures fuyant à l'aube tandis que les bombardements, comme étranglés, éclairent le ciel en arrière-plan. Formellement, l'influence d'une Lady Chatterley est passée par là, avec cette façon de croquer, brute, la noblesse ordinaire du décor bucolique, dans lequel explosent les couleurs chaudes de l'art naïf de Séraphine.
Héroïne pas évidente, la Séraphine de Yolande Moreau, admirable, n'est pas immédiatement aimable, matou échaudé craignant l'eau froide, âme chaste et pure virant mystique avant de sombrer dans une foire aux vanités, couverte de taffetas, aux grandeurs et décadences comme échappées de Zola. Le film laisse entrevoir un personnage complexe, intérieur, qu'il s'agisse de son art dont on ne sait d'où il vient, ou de sa foi qui l'inspire et la fait déborder lorsque son inadaptation sociale fait craquer les coutures. Histoire d'un embrasement, Séraphine se consume d'elle même, et son feu divin enflamme ses toiles où les branches et les feuilles sont des rivières de sang ou des vitraux dédiés aux cieux. « Entrevoir », c'est bien cela, car Martin Provost ne s'impose pas comme portraitiste officiel, et sait à quel point il doit chérir cet ingrédient fragile mais qui donne au film toute sa beauté, toute sa singularité: le mystère.