Senkyo 2
Coupe franche tragicomique de la société japonaise : peu après l’accident de Fukushima, un candidat faisant campagne avec des moyens dérisoires aux élections locales s’oppose seul au nucléaire.
UN HOMME D’ÉTAT
Dans notre article best-of 2012, le réalisateur japonais Katsuya Tomita nous parlait de son film préféré de l'année, Théâtre 1 et 2, et de son réalisateur Kazuhiro Soda en ces termes: " Soda est un documentariste qui décrit son travail comme du « cinéma d’observation », une appellation que je ne trouve pas complètement exacte. Au Japon, on trouve cette formule un peu trop sérieuse, un peu trop Frederick Wiseman ! Son travail est plus marrant que ça. Ce film [Théâtre 1 et 2, ndlr] dure 5 heures 40 si je me rappelle bien, mais vous ne trouverez jamais le temps long en le regardant". Une remarque qui s'applique parfaitement au nouveau documentaire de Soda, Senkyo 2. Senkyo comme campagne: Soda suit la campagne électorale d'un candidat, père de famille japonais. 2 car c'est la seconde fois que Soda suit le parcours de ce candidat, qui fut d'abord élu sous la bannière du Jimintō, le Parti Libéral-Démocrate japonais, l'un des principaux partis du pays. Plus ou moins largué par ce parti, Yamauchi se représente à nouveau quelques années plus tard dans le Japon post-Fukushima, en indépendant, dans un pays traumatisé par la catastrophe mais où le nucléaire reste un sujet tabou pour les politiques. La politique est-elle, comme le déclare Yama-san, aussi contaminée que la terre ?
A vrai dire, ce n'est pas le strict sujet de Senkyo 2. Certes, on y parle un peu (un tout petit peu) politique, on y voit de gens en campagne. Et il y a quelque chose de parfaitement étrange à observer ces candidats qui se congratulent mutuellement et interrompent leur discours pour saluer la concurrente qui passe en voiture. Dans un idéal Bisounours de démocratie, Yama-san implore ses concitoyens de voter - mais même pas forcément pour lui. Soyez-en sûrs: dans le quartier de Yama-san, vous ne croiserez jamais Jean-François Copé ou Nadine Morano. Cette ambiance bon-enfant est refroidie de temps à autre par la présence-même du réalisateur: un candidat n'apprécie pas du tout d'être filmé (et son assistante ne cessera jamais de sourire alors qu'on la sent prête à exploser) tandis qu'un autre en profite pour se confier sur l'absurdité des règles de campagne.
En creux, c'est un instantané du Japon d'aujourd'hui que Soda réalise. "Vous ne créez rien" reproche le candidat ennemi de la caméra, sous-entendant que Soda se contente de capter ce qui se passe. Et si c'était la force de Senkyo 2 ? Le héros Yama-san rencontre la concurrence par hasard ? On filme. La caméra rencontre des gamins ? On les intègre au long métrage. Cette liberté étalée sur 2h30 apporte une vivacité et du souffle à un film très drôle. Lorsqu'un candidat exténué explique qu'il aime ce moment de la journée où les gens sont plus cools et qu'à cette seconde précise deux Japonais se mettent à courir derrière lui, après leur bus ou leur train, tient du burlesque pur et la caméra de Soda filme parfaitement cet instant. Il y a beaucoup de douceur dans la façon dont Soda capture les instants familiaux de Yama-san, son gamin qui fait le clown et sa femme à ses côtés pendant qu'il bricole sa non-campagne - on a parfois le sentiment de suivre une campagne électorale menée par la famille de Nos voisins les Yamada. "Vous ne créez rien ?", reproche t-on au réalisateur. Son film pourtant raconte bien plus de choses que des tonnes de longs métrages.