Le Secret de la chambre noire

Le Secret de la chambre noire
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Secret de la chambre noire (Le)
France, 2016
De Kiyoshi Kurosawa
Scénario : Kiyoshi Kurosawa
Avec : Tahar Rahim
Durée : 2h11
Sortie : 08/03/2017
Note FilmDeCulte : *****-
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Stéphane, ancien photographe de mode, vit seul avec sa fille qu’il retient auprès de lui dans leur propriété de banlieue. Chaque jour, elle devient son modèle pour de longues séances de pose devant l’objectif, toujours plus éprouvantes. Quand Jean, un nouvel assistant novice, pénètre dans cet univers obscur et dangereux, il réalise peu à peu qu’il va devoir sauver Marie de cette emprise toxique.

LA FEMME AU PORTRAIT

Si l'on a eu l'an passé l'exemple d'une greffe parfaite entre un réalisateur étranger et une production en France avec Elle de Paul Verhoeven, l'annonce d'un projet français pour un cinéaste à l'univers aussi singulier que Kiyoshi Kurosawa avait de quoi intriguer... ou de quoi faire peur. Le réalisateur de Kaïro, Tokyo Sonata ou encore Shokuzai balaie les doutes avec une nouvelle merveille. Et évoque, parmi les récents projets schizophrènes du cinéma français, l'exemple curieux de Olivier Assayas qui, avec Personal Shopper, signait un pur film d'Assayas aux motifs reconnaissables en même temps qu'un pur film de fantômes. De ce déplacement naissait un sentiment d'incongruité et d'inattendu. Le sentiment est proche pour Le Secret de la chambre noire.

Nous sommes bel et bien en France, en région parisienne. On prend le métro, on se déplace en Citroën, la bâtisse et son jardin sont bien français. Et pourtant, d'un bout à l'autre, Le Secret... est un pur film de Kurosawa, qui porte en permanence la marque de son auteur. Lors de sa venue à la Cinémathèque Française il y a quelques années, Kurosawa avait insisté, dans sa conception du fantastique, sur le caractère crucial du lieu où apparaissent les fantômes. Les siens ne surgissent guère aux endroits attendus : plutôt dans des usines abandonnées, des terrains vagues crapoteux et urbains – et surprennent. Le Secret... fonctionne sur un même décalage : c'est en France qu'apparaissent pour la première fois des fantômes japonais.

Outre quelques motifs kurosawaïens en diable (bâches aux fenêtre ! Immeubles en construction !), on retrouve rapidement la façon qu'a Kurosawa de filmer les fantômes : théâtrale, hiératique, hypnotique, mystérieuse – personne au monde ne sait capturer les spectres comme le cinéaste. En témoigne un surgissement dans Le Secret de la chambre noire, aussi beau, poétique et fascinant que les apparitions les plus marquantes de Kaïro. Car la poésie morbide est dans l'ADN du cinéma de Kurosawa. L'histoire est absolument abracadabrantesque ? Laissez les récits « vraisemblables » pour citer Hitchcock (et sa méfiance des histoires vraisemblables) aux autres. Le Secret de la chambre noire est là pour vous faire prendre des vessies pour des lanternes – avec d'ailleurs une certaine malice. Et cela fonctionne, car l'écriture de Kurosawa, malgré son univers ultra-réaliste, est sur un registre onirique, poétique. Il y a le réel, certes, mais il y a surtout son enchantement.

Dans Le Secret de la chambre noire, les personnages n'arrivent visiblement plus à faire la différence entre vivants et morts. C'est une question qui se pose pratiquement dans tous les films du cinéaste, des étudiants vampirisés de Kaïro aux amants de Vers l'autre rive en passant par les univers mentaux et les expériences de Real. « La mort est comme une illusion », entend-on, et c'est un grand illusionniste du cinéma contemporain qui le dit. Qu'y a t-il d'ailleurs de Kurosawa dans cette histoire, dans ces personnages ? Doit-on voir un clin d’œil avec ce photographe chevronné (incarné par Olivier Gourmet), un autoportrait déformé à travers cet artiste décalé dans le temps et qu'on peut rapprocher d'un Kurosawa et de sa place à part dans le fantastique aujourd'hui ?

A part : l'héroïne du Secret... (Constance Rousseau, dont l'étrangeté est merveilleusement utilisée) semble appartenir à plusieurs époques à la fois. Son père la photographie comme on le faisait il y a près de 200 ans, elle est lookée comme une poupée 60s, c'est une femme et pourtant elle ressemble à une enfant. L'actrice participe à l'étrange tension suréelle du film – cet usage expressionniste de la lumière lorsque le surnaturel gronde, cet ustensile employé pour les photos et qui ressemble à un outil de torture pour un roman porno. Vers quoi mènent les couloirs sombres de ce cabinet des curiosités ? Vers le romanesque, émouvant et inattendu, incarné aux côtés de Rousseau par le décidément toujours parfait Tahar Rahim. Ce secret-là est beau, précieux et envoûtant.

par Nicolas Bardot

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